Sur les tours précédents, n’y revenons pas. Mais d’une manière générale et générique, je suis d’accord avec vous, tant pour le particulier que pour le reste, plus étalé, moins spécifique : il s’agit seulement de points de vue. Et puis, je n’ai jamais autant dénigré certains personnages apparus par-ci par-là que raison m’en a donné de ne pas me justifier, ou si peu, mais encore dans mes pensées seulement. Aujourd’hui pourtant se lève, s’emmitoufle dans une sphère nouvelle, un héros, l’un de ceux que je porte dans mon cœur encore, l’un des seuls qui subsistent dans mon esprit meurtri, criblé de coups assassins qu’on a portés derechef envers et contre mes protégés, tout mignons qu’ils pouvaient être, tout profonds qu’ils étaient alors. Je vous rassure immédiatement, faisons bonne fortune de la prévention, je ne vais pas non plus m’immoler par le feu pour ces pertes. En fait de feu, il aurait de toute façon était fort délicat de s’immoler par autre chose : c’eut été chaud, ajouta-t-il, tempéré. Je m’en veux tout de même lorsque je vois ce duel, clinquant de brutalité, soufflant des entrailles putrides qui témoignent d’une injustice certaine de même que d’une certaine fatalité qui semble pour l’heure tirer tout son soûl. Je ne comprendrai donc jamais qu’à un affrontement sans intérêt succède toujours une tempête immorale où seul est apporté le dilemme, semé des quatre vents, gentiment déposé au seuil de notre porte ; celle d’une conscience torturée par le crime, honni pêché d’éliminer déjà tout un symbole, un héros – un autre – ou précisément une héroïne, une vraie, une de celles qu’on admire, qu’on contemple encore même à travers un voile pudique. C’est par conséquent ému mais non à regret que je vote pour ainsi dire – ferme et sûr – en la faveur de Manji, un immortel, un être de l’éternité, le seul habitant de l’infini.
Hiroaki Samura est un génie, qu’on se le dise, qu’on le tag sur tous les murets, qu’on l’écrive dans les livres que notre descendance s’en souvienne, qu’on se l’imprègne enfin par les relents encore présents dans l’air d’une méthode Coué qui a déjà tant et tant fait ses preuves. Hiroaki Samura est un génie. Et c’est de cette revendication légitime, méritée, juste et partiale, de ce constat lucide que l’on doit partir pour bâtir le mythe. C’est de l’envers du décor que l’on doit inciser notre curiosité, la contenir encore un peu pour en libérer par la suite toute la fragrance emmagasinée. Un personnage – un vrai, que dis-je – ne se construit pas d’un coup limpide de baguette magique : il se vit car lui doit vivre sous la plume de son créateur, il bouge en même temps que se déplace, légère et souple, la main du dessinateur, celle de laquelle va émaner le souffle frais de la vie. Samura a compris que pour donner du mouvement, de la profondeur, un abyme considérable, en bref, une âme à ses personnages, il fallait les animer avec amour et patience. Ainsi, se borgne-t-il à dessiner tout lui-même, rien pour les machines, nulle assistance informatique : labeur personnel. Il est de la vieille école, un féru de tradition, pur utilisateur sans condition de l’encre de Chine. La peinture à l’huile, il en porte une aversion tout entière : c’est qu’il n’apprécie pas cette odeur nauséabonde. Métaphoriquement, son œuvre sent bon, il n’y a aucun déchet ni apparent ni dissimulé, tout est là pour servir l’unité, un respect de la cohésion et de la beauté, dans des planches sombres, même peut-être brouillonnes quelque peu. Parce que Samura, ce n’est pas un sycophante : pour offrir des trésors de créativité, il ne lorgne pas sur l’effort. A la base même, les fondations sont solides. Même sans autres artifices, Manji est naturellement une légende, un samouraï qu’on a mis au monde en toute sincérité. Il dégage une aura unique et singulière déjà, sa seule présence est une élégie à l’harmonie : mélancolie mêlée à la force, simple évidence voilà tout. On pourrait ajouter bien des choses, mais les divers épisodes de la vie de cet être insondable ou son tempérament renversant d’agrément, je vais les laisser à votre seul jugement, ainsi qu’à la postérité. Manji n’astique pas de bonnes paroles, pas plus qu’il ne prêche de bonnes pensées, mais il n’en demeure pas moins éternel, son état et son nom le confirmant sans mal aucun.
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