« Ci-gît celui dont le nom était écrit dans l’eau »
Epitaphe de John Keats, poète britannique (1795 - 1821)
Introduction
« Les Cantos d’Hypérion » sont un cycle de Science-fiction en 4 tomes écrit par Dan Simmons et publiés en 1989 et 1990. Bardé de prix (dont le Prix Hugo du meilleur roman pour la première partie), il s’agit d’une œuvre majeure de la littérature SF moderne et certainement de l’un des plus beaux romans de SF jamais écrit.
Découpées en deux parties distinctes, « Hypérion » (2 tomes) et « La Chute d’Hypérion » (2 tomes), c’est une œuvre complexe et puissante difficile à décrire et à présenter sans porter préjudice à sa lecture. C’est donc dans une présentation un peu casse-gueule, avec une marge de manœuvre assez mince, que je lance. Le tout sans véritable plan en tête, d’où un résultat qui risque de s’approcher du tâtonnement, vous êtes prévenu ^_^
Un mot sur l’auteur : Dan Simmons
Auteur américain vagabondant entre science-fiction, fantastique, horreur et policier, Dan Simmons est un écrivain accompli qui a su gagner la faveur du public et la reconnaissance de ses pairs. Il est polymorphe dans le sens où il tente toujours d’adapter son style au genre du récit.
Son premier roman, « Le Chant de Kali », un récit fantastique, est publié en 1982 et rencontre un beau succès.
Il s'essaie à la Science-fiction en 1989 avec « Les Cantos d’Hypérion », un coup d'essai qui est un coup de maître et qui le fait entrer dans la cour des auteurs « classiques ». Néanmoins après les Cantos il ne retourne pas immédiatement à la SF et continue d'explorer d'autres genres.
Il revient à la SF en 1996 avec « Les Voyages d’Endymion », un cycle qui n'est ni plus ni moins que la suite des Cantos. Personnellement je ne l'ai pas (encore) lu en raison de la peur de perdre la magie des Cantos. Les critiques sont cependant plutôt bonnes : indiscutablement inférieurs aux Cantos, « Les Voyages d’Endymion » n'en reste pas moins une œuvre intéressante qui les complète à merveille. Un jour peut être je franchirai le pas.
L'autre incursion de Dan Simmons dans la SF est le dyptique « Ilium »/ « Olympos » (2004/2005), basé sur l'Iliade et l'Odyssée. Par contre les avis sont là bien plus mitigés : trop long, trop lent et avec un fond thématique assez douteux... Je ne l'ai pas lu non plus et les critiques ne sont guère engageantes, surtout sur Olympos...
Néanmoins son dernier roman, « Terreur », un récit horrifique narrant l'expédition véridique de Sir Franklin en Arctique semble l'avoir réconcilié avec ses lecteurs. Les critiques sont élogieuses et je me laisserai bien tenté ce coup-ci.
Parmi ses autres romans les plus fameux, nous pouvons citer : « L’Échiquier du mal » (fantastique - 1989), « Nuit d'été » (fantastique - 1991), « L’Homme nu » (fantastique - 1992) et « Vengeance » (policier - 2001).
Histoire
Dans un avenir lointain où la civilisation humaine s’est essaimée sur de nombreuses planètes à travers l’espace, 7 personnes sont choisies pour effectuer un pèlerinage a priori sans retour sur la planète Hypérion. Une fois là-bas leur destination finale sera les très mystérieux « Tombeaux du Temps ».
Qui sont ces pèlerins ? Pourquoi ont-ils accepté ce pèlerinage dont ils ont peu de change de revenir vivants ? Et que sont exactement ces « Tombeaux du Temps » ?
Autant de questions qui trouveront leurs réponses au fur et à mesure que se déroulera cet extraordinaire et ultime voyage.
De la difficulté de présenter les Cantos d’Hypérion
Traditionnellement c’est à ce point là de mes présentations que je propose une description des personnages et de l’univers, exercice plus ou moins intéressant mais malheureusement impossible à pratiquer dans le cas des Cantos, en raison de la structure narrative spécifique que Dan Simmons a donnée à son œuvre.
Cette structure n’est pas spécialement originale ou totalement démente, mais elle repose sur un jeu du mystère que je ne peux me résoudre à trahir par respect de l’intention de l’auteur – en ce sens la présentation sur Wikipedia des Cantos, même relativement courte et succincte, donne bien trop d’information à mon goût.
Alors de quoi s’agit-il ? Oh rien de bien compliqué en soi.
D’abord sur l’univers des Cantos : c’est un univers de Science-fiction très réussi, riche en détails et en concepts pour la plupart assez classique mais mis en œuvre avec une rare efficacité. Sur le parti pris de Dan Simmons, il consiste tout simplement à ne jamais présenter ou expliciter l’univers en avance par rapport à l’intrigue. C'est-à-dire que nous découvrons l’univers des Cantos au fur et à mesure du déroulement du récit. Beaucoup de choses sont obscures ou inconnues, jusqu’au moment où elles entrent en scène. Le premier exemple est le pèlerinage vers Hypérion : tous les personnages savent parfaitement ce qui les attend, mais nous lecteurs, devons attendre qu’ils en parlent pour le découvrir.
Beaucoup d’effets, d’éléments d’intrigues et également une grande partie du plaisir de la lecture repose sur ce choix narratif, et donc ce ne serait pas rendre justice au travail de Dan Simmons de présenter l’univers des Cantos, puisqu’il s’agit d’un des enjeux de sa narration. A l’extrême rigueur je peux citer l’étonnant vaisseau-arbre Yggdrasill qui fait la couverture du tome 1 « d’Hypérion » mais je me refuse à davantage.
Ensuite sur les personnages : Une base de 7 individus, mystérieux et qui ne se connaissent pas. La raison pour laquelle les Cantos sont séparés en deux romans, « Hypérion » et « La Chute d’Hypérion », provient du fait que Dan Simmons va d’abord nous présenter en détails ces 7 pèlerins. Pour être précis, chacun d’eux va raconter son histoire aux autres et ce sont ces histoires qui constituent le contenu des 2 tomes « d’Hypérion ». Il s’agit d’histoires à l’intérieur de l’histoire. Dan Simmons s’essaie à la nouvelle et chaque histoire dispose d’un style, d’un ton et d’une forme propre – par exemple certains récits sont à la première personne, d’autres non.
De ce fait présenter les personnages principaux (et même secondaires) des Cantos serait porter préjudice au récit, une nouvelle fois.
Chacune de ces histoires explore un thème de SF particulier et en plus de découvrir les pèlerins (et leurs motivations), elles nous font découvrir un peu plus à chaque fois l’univers des Cantos – et ainsi que des personnages secondaires bien évidemment.
Frustrant aussi bien pour vous que pour moi, mais je ne peux guère en dévoiler davantage…
Mister John Keats, haut de cinq pieds
Vous me direz que cela est fort joli mais en définitif vous n’êtes pas beaucoup renseigné sur ce qui fait la particularité des Cantos et dans ces conditions il est difficile de susciter l’envie. Il en faut donc davantage et comme le scénario et l’univers ne me sont pas accessibles, je vais évoquer le fond et la substance des Cantos.
Rien que par son titre, « Les Cantos d’Hypérion » résonnent de leurs intentions qui sont de s’inscrire dans une certaine tradition littéraire – à la fois antique et romantique. Si l’œuvre de Dan Simmons est riche en référence et en hommage de toutes sortes (je reviendrai dessus plus tard), il y a une référence qui écrase toutes les autres au point qu’elle constitue la substance même de l’œuvre : la poésie en générale et John Keats en particulier.
Le thème central des Cantos est une réflexion sur le rôle du poète et sur la création poétique. De nombreux poètes (ou leurs œuvres) sont évoqués à travers les Cantos, que ce soit William Shakespeare, Jonathan Swift, Christopher Marlowe, John Milton, William Butler Yeats ou encore Dante Alighieri mais c’est John Keats qui tient un rôle majeur dans le récit de Dan Simmons.
En effet « Hypérion » est le titre de son grand poème inachevé et « La Chute d’Hypérion » le titre sous lequel il le réédita. L’importance de John Keats, de sa vie et de son œuvre, monte en puissance au fur et à mesure que le récit des Cantos avance : simple référence au départ, parmi un grand nombre, elle devient à un moment si dominante que les niveaux de lecture se mélangent et nous ne savons plus très bien si les Cantos sont un récit qui rend hommage à John Keats ou s’il s’agit d’un essai sur John Keats illustré de métaphores reposant sur une trame de SF.
Dan Simmons parsème son œuvre d’extraits de poèmes et de lettres écrites par le poète britannique, et le fait même intervenir de façon indirecte par le biais de plusieurs personnages qui se réclament de son héritage littéraire. L’un d’eux en résumant son poème « Hypérion », résume également et parfaitement les Cantos de Dan Simmons :
Le thème est celui de la mort des dieux et de leur difficulté à accepter leur exil. Celui de la souffrance, de la transformation et de l'injustice. Celui du poète, également. Il [John Keats] pensait que c'était le poète qui souffrait le plus de toutes ces injustices.
« Les Cantos d’Hypérion » narrent donc, en utilisant John Keats et son œuvre comme axe narratif principal, le déclin des Titans de l’espace que sont les êtres humains et pose la question de savoir ce qui doit leur succéder.
Est-ce suffisant pour susciter l’envie ? ^_^
Une œuvre complète
Ce qui constitue indéniablement la réussite des « Cantos d’Hypérion », en dehors de la qualité de son scénario, de la finesse de ses personnages, de l’élégance de sa narration ou encore de son écriture raffinée, c'est la richesse des thèmes abordés. En effet Dan Simmons rend hommage à 60 ans de Science-fiction et développe dans son chef d’œuvre tous les thèmes et aspects de ce genre. Space Opera, Métaphysique, Cyberpunk, Cyberspace, Vie Extraterrestre, Paradoxe Temporel ou encore Problématique de la colonisation Planétaire, rien n’est oublié et toutes ces thématiques trouvent leur place dans la grande épopée que sont les « Cantos d’Hypérion ».
De ce fait les références sont innombrables et dépassent le simple cadre de la science et de la littérature de science-fiction : écologie (John Muir), zen (Ummon), théologie (Teilhard de Chardin), littérature classique, et poésie en particulier, sont autant de thèmes/références qui constituent la substance de l'œuvre de Dan Simmons.
« Les Cantos d’Hypérion » sont une œuvre majeure de la SF non par leur originalité ou parce qu'ils apportent quelque chose de révolutionnairement nouveau, mais parce qu'il s'agit d'une œuvre somme quasi-parfaite et qui peut être vu comme un manifeste de la SF moderne. Aujourd'hui encore les Cantos font référence et ont rejoint les grands cycles qui ont fait la Science-fiction, comme « Fondation » d'Asimov ou « Dune » de Frank Herbert.
Pour finir, sur le découpage des Cantos en deux romans, la pièce maîtresse est indiscutablement « Hypérion ». « La Chute d'Hypérion » ne démérite pas mais est simplement génial là où « Hypérion » est renversant. La structure non linéaire « d'Hypérion » en sous récits apporte une densité et une intensité remarquable et construit un univers et des personnages fascinants et mythiques. De structure plus classique et linéaire, « La Chute d'Hypérion » est « simplement » le dénouement logique et l'accomplissement des destins des personnages. Mais quel dénouement il faut reconnaître! Si Dan Simmons fait avancer lentement son récit dans le tome 1 de « La Chute d'Hypérion » et s’amuse à faire durer le suspense, le tome 2 est un déferlement de poésie épique et lyrique qu’il est difficile d’oublier.
Puis, lorsque enfin le lecteur tourne la dernière page des « Cantos d’Hypérion » et qu’il achève cette grande épopée au souffle antique et romantique, il voit surgir en lui une subite envie de lire et de déclamer de la poésie pour célébrer la vie, la souffrance et l'amour.
Voilà ce que sont « Les Cantos d’Hypérion ».
