« Tout ce que j’ai écrit, je l’ai d’abord rêvé »
Auteur culte et vénéré à travers le monde et les générations, H.P.Lovecraft est l'un des pères de la littérature fantastique moderne. Auteur de nombreux poèmes et essais, il aura surtout écrit une soixantaine de nouvelles dont l’influence et l’importance sont aujourd’hui indiscutables. Il aura également été l’un des épistoliers les plus prolifiques de son temps avec plus de 80 000 lettres connus – malheureusement de nombreuses lettres ont été perdues et les experts estiment qu’il a dû en écrire plus de 100 000.
A noter également que H.P.Lovecraft travailla souvent comme « nègre littéraire » et son propre travail littéraire ne fut véritablement connu qu’après sa mort – il resta toute sa vie un obscur écrivain « raté » alors qu’aujourd’hui d’innombrables artistes le considèrent comme le maître qui fit le lien entre le fantastique « classique » et le fantastique « moderne » tel que nous le connaissons de nos jours.
Howard Phillips Lovecraft est né le 20 août 1890 dans la ville de Providence, aux USA. Alors qu’il n’a encore que 3 ans, son père tombe dans une profonde dépression et se voit interné au Butler Hospital. Il décède 5 ans plus tard. La maladie dont a souffert le père de Lovecraft n’est pas parfaitement identifiée mais les experts s’accordent à dire qu’il s’agirait d’une forme de neuro-syphilis.
Privé de son père dès son plus âge, Lovecraft est élevé par sa mère, son grand-père et ses deux tantes dans le milieu bourgeois de Providence. Cet environnement aura des conséquences importantes sur la vie du jeune Lovecraft. En effet Providence est le bastion de l’idéologie WASP (White Anglo-Saxon Protestant), des « vrais » américains qui méprisent aussi bien les gens de couleurs que les immigrants irlandais – enfin bref tout ce qui est autre que WASP n’est que de la vermine ou presque.
Le jeune Lovecraft se relève très précoce : il lit à trois ans et sait écrire à six. Enfant solitaire et souvent malade (il souffre régulièrement de maladies « nerveuses »), il va peu à l’école durant sa petite enfance. Néanmoins aimant passionnément lire, il compense cette carence par le biais de ses propres lectures, aussi bien littéraires que scientifiques, faisant de lui en grande partie un autodidacte.
En vrac :
A 5 ans il lit « Les Nuits Arabes » dont il tire un pseudonyme, « Abdul Alhazred ». Puis c’est la découverte de la mythologie grecque, de la littérature fantastique en général et d’Edgar Allan Poe en particulier. Il écrit sa première histoire, «The Noble Eavesdropper», à 6 ans.
A 8 ans il découvre les sciences et l’année suivante il crée son premier journal, « The Scientific Gazette » qu’il distribue à ses amis et qu’il poursuivra une dizaine d’années.
A 13 ans il entre à Hope Street High School où il se fait de nombreux amis. Il trouve ses professeurs très agréables et participe à divers journaux scolaires en écrivant sur des sujets scientifiques principalement.
Malheureusement en 1904 la mort de son grand-père et la mauvaise gestion des affaires familiales entraîne la famille de Lovecraft dans des difficultés financières les obligeant à déménager dans des quartiers plus modestes de Providence. La perte de la demeure familiale est terrible pour Lovecraft au point qu’il pense même à se suicider.
En 1908, il souffre d'une dépression nerveuse qui le contraint à quitter l’école sans avoir pu obtenir son diplôme. Par la suite il tente le concours d’entrée à la Brown University mais échoue. Cette absence de diplôme et d’études universitaires seront pour lui la source d’un profond sentiment d’infériorité et il vivra ces événements comme une grande humiliation.
De 1908 à 1913, Lovecraft vit quasiment comme un ermite et entretient une relation malsaine faite d’amour et de haine avec sa mère. Le fait qu’il ne fasse rien de ses journées à part lire et écrire des poèmes ou des lettres à ses amis n’arrangent rien.
En 1913, alors qu’il a 23 ans se produit un événement qui va bouleverser sa petite vie d’ermite. Etant un grand lecteur de magazines « Pulp », il est interpelé par une histoire d’amour qu’il trouve d’une nullité abyssale. Il envoie au magazine l’ayant publié une lettre tout en vers attaquant sauvagement son auteur. Il lance ainsi une véritable polémique au sein du courrier des lecteurs du magazine en question et Lovecraft affronte par courriers interposés le fameux auteur et ses fans durant des semaines.
Cette « aventure » le fait remarquer par Edward F. Daas, président de l'United Amateur Press Association (UAPA), un groupe d'écrivains amateurs internationaux qui écrivent et publient leurs propres magazines. Ce dernier invite Lovecraft à se joindre à l’UAPA et c’est ainsi qu’il fait sont entrée dans le monde des écrivains amateurs. Lovecraft publie son propre magazine et participe à la rédaction d’autres. Tout d’abord par le biais de poèmes et d’essais, puis plus tard par la rédaction de nouvelles. Evidemment ce nouvel univers lui permet d’enrichir son réseau de correspondants.
Le monde amateur le sauve ainsi de son état végétatif comme il l’avouera plus tard à ses amis. Ce sera un véritable retour à la vie selon ses propres dires.
C’est finalement en 1917, dans le cadre amateur qu’il rédige de nouveau des nouvelles, exercice qu’il avait abandonné depuis l’adolescence. « Dagon » est la première qu’il écrit. Cette courte histoire évoquant un mystérieux continent perdu au fond des mers et une étrange créature aquatique porte déjà les prémices de l’univers Lovecraftien qu’il développera dans les années à venir.
Vision d'artiste de Dagon
Néanmoins jusqu’en 1922, ses nouvelles fantastiques restent mineures dans son travail, et c’est surtout via les poèmes et les essais qu’il s’exprime le plus. Trois nouvelles importantes sont toutefois à relever :
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Nyarlathotep (1920) : il s’agit d’un rêve de Lovecraft qu’il s’est empressé de mettre par écrit à son réveil,
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Je suis d’ailleurs (1921) : un pur récit gothique dans la grande tradition d’Edgar Poe,
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Azathoh (1922) : court essai onirique et inachevé où Lovecraft évoque un infini spatial et temporel.
En 1919 la mère de Lovecraft tombe dans une profonde dépression et se voit internée au Butler Hospital, tout comme jadis son père. Elle meurt 2 ans plus tard dans des conditions laissant penser à une erreur médicale.
Si de façon évidente Lovecraft est brisé par la perte de sa mère, il s’en remet finalement rapidement car la même année (1921) il rencontre à Boston, lors d’une convention de journalisme amateur celle qui deviendra sa femme, Sonia Haft Greene.
Sonia Haft Greene est une juive d'origine russe, de 7 ans plus âgée que Lovecraft, ce qui surprend pas mal son entourage – c’est un WASP de Providence souvenez-vous. Ils se marient en 1924 et le jeune couple s’installe dans l’appartenant New Yorkais de madame, à Brooklyn. Les tantes de Lovecraft n’ont pas été conviées et apprennent le mariage par courrier.
A cette époque Lovecraft commence à gagner sa vie car il s’est orienté vers les nouvelles fantastiques et il arrive à en faire publier entre autre dans « Weird Tales », l’un des plus importants magazines « Pulp » de l’époque. De même sa femme travaille dans un magasin de chapeaux.
Malheureusement la situation du jeune couple va se dégrader. Sonia perd son emploi puis tombe malade, tandis que Lovecraft n’arrive pas à trouver de travail stable – personne ne veut embaucher un homme de 34 ans sans aucune expérience professionnelle. Puis en 1925 Sonia part pour Cleveland car elle y a trouvé un emploi et Lovecraft déménage dans un petit studio près de Brooklyn, dans le quartier nommé Red Hook.
Sur cette période allant de 1924 à 1926, Lovecraft souffre beaucoup malgré l’affection qu’il porte à sa femme et le début de reconnaissance de son travail. Sa situation sociale n’est guère glorieuse et il déteste au plus haut point le quartier dans lequel il vit. Imaginez le choc pour un bon WASP de la bourgeoisie de Providence propulsé dans un des quartiers les plus populaires de New York – et pour ne rien arranger son logement sera même cambriolé. Tout cela ne fait qu’exacerber ses tendances racistes, au point qu’il en oublie parfois que sa femme est juive et cette dernière doit le rappeler souvent à l’ordre lors de ses divers écarts.
Ses écrits sont aussi marqués par plusieurs réflexions racistes, souvent au détour d’une phrase – fort heureusement le raciste chez Lovecraft à cette époque reste assez périphérique et ne marque pas spécifiquement son œuvre. Ce n’est pas un militant, c’est davantage du racisme « social » et « de tous les jours » qu’un racisme « idéologique ».
Sélections de quelques nouvelles qu’il écrit à cette époque :
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La maison maudite (1924) : Tous ceux qui ont habité une certaine maison ont souffert systématiquement d'une étrange maladie. Quel secret cache cette maison ?
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Le Prisonnier des Pharaons (1924) : Aventure fantastique du magicien Harry Houdini en Egypte.
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Lui (1925) : Un étrange homme fait découvrir au narrateur l'horrible et véritable visage de New York. Lovecraft y exprime toute sa haine de New York.
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Horreur à Red Hook (1925) : ce récit est centré sur un homme assez énigmatique qui semble être mêlé à de mystérieuses disparitions dans le quartier de Red Hook. Histoire d'horreur sur fond d'enquête.
Finalement en 1926, n’en pouvant plus, Lovecraft décide de retourner vivre à Providence. Evidemment ses tantes sont ravies et prennent tout en charge. De plus bien qu’avec sa femme il n’y ait aucun problème conjugal particulier, l’éloignement géographique et la profonde volonté de Lovecraft d’un retour aux sources ont raison de son mariage. Leur divorce sera prononcé trois ans plus tard.
Présenté ainsi, cela semble triste mais en réalité c’est tout le contraire car à Providence Lovecraft connaît une seconde renaissance, aussi bien humaine que littéraire.
Tout d’abord il écrit cette année-là (1926), « L'Appel de Cthulhu » qui est la pierre angulaire de son œuvre littéraire et qui constitue l’officialisation de sa mythologie.
En effet jusqu’à présent Lovecraft a toujours aimé utiliser dans ses nouvelles des Entités, des Livres ou encore des Lieux imaginaires et récurrents. On peut citer à titre d’exemple « Azathoth » et « Yog-Sothoth » pour les Entités, « Le Necronomicon » pour les livres et « Arkham » et « Innsmouth » pour les villes. Mais cela n’est évidemment qu’un très court aperçu de son univers imaginaire.
La nouvelle « L'Appel de Cthulhu » révèle l’existence d’anciennes et puissantes Entités aujourd’hui endormies dans des cités englouties ou d’autres lieux. Ces Entités appelées « Anciens », cruelles et monstrueuses, ont jadis dominées la Terre et « L'Appel de Cthulhu » nous apprend qu’un jour elles reprendront leur territoire que les humains n’occupent que par simple hasard de la nature.
A partir de « L'Appel de Cthulhu », Lovecraft va creuser la mythologie des « Anciens » et s’en servir comme toile de fond dans bon nombre de ses nouvelles.
Les « Anciens » sont d’apparences diverses mais toujours « monstrueuses » et d’inspirations « aquatiques » et « tentaculaires ». En effet Lovecraft a une phobie de la mer et déteste tout ce qui en vient, de ce fait ses « Anciens » tirent souvent leur inspiration de créatures sous-marines – un univers que Lovecraft paradoxalement maîtrise bien via ses lectures scientifiques. Evidemment cela renforce le côté « Autre Monde » des « Anciens » qui n’a réellement aucun rapport avec le monde des humains.
Les rêves ont une grande place dans cette mythologie car c’est souvent via les rêves que certains « Anciens » entrent en contact avec les humains. De même assez rapidement, Lovecraft ne confine pas ses « Anciens » dans les entrailles de la Terre, mais étend leur présence et leur influence à travers tout l’univers – par exemple Azathoh, un « Ancien » très puissant et important, semble vivre dans un trou noir. De ce fait la place de la Terre et de l’Humanité dans l’univers ne devient que plus dérisoire et anecdotique.
Vision d'artiste de Cthulhu
Sélections de quelques nouvelles que Lovecraft écrit de 1926 à 1928 :
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Le modèle de Pickman (1926) : récit nous faisant découvrir un peintre aux oeuvres cauchemardesques.
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L'Affaire Charles Dexter Ward (1927) : La plus longue histoire de Lovecraft et qu’on peut considérer comme un roman. Elle raconte comment un jeune homme en faisant des recherches généalogiques va se découvrir un ancêtre particulièrement inquiétant. Sorcellerie et immortalité sont au programme de ce chef d’œuvre qui ne fut jamais publié du vivant de Lovecraft.
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La couleur tombée du ciel (1927) : Ce récit au titre évocateur est l’un des rares de cette époque où Lovecraft n’utilise pas des éléments de sa mythologie.
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Histoire du Necronomicon (1927) : texte rédigé à la demande d’un fan qui voulait en savoir plus sur le Necronomicon. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’histoire de ce livre maudit.
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La quête onirique de Kadath l'inconnue (1927) : faisant parti du « Cycle des Rêves », Randolph Carter (l'unique héros récurrent de Lovecraft) part en rêve à la recherche de la cité mystérieuse de Kadath.
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L'abomination de Dunwich (1928) : Ce récit sur fond de sorcellerie propose certainement la chose la plus horrible et monstrueuse de l’œuvre de Lovecraft.
C’est donc un Lovecraft en pleine forme qui s’épanouie à Providence. Un Lovecraft également très actif qui va au cinéma et part régulièrement en voyage à travers les Etats-Unis/Canada soit pour visiter des sites, soit pour rencontrer ses correspondants.
De même son cercle de correspondants s’élargit considérablement à cette époque. Via ce réseau il en profite d’ailleurs pour aider et encourager certains jeunes auteurs.
Par exemple le jeune Fritz Leiber lecteur de « Weird Tales » et admirateur de Lovecraft entretient une correspondance avec ce dernier. Apprenant que Fritz Leiber a écrit une nouvelle d’aventure dans sa jeunesse, Lovecraft lui demande de lui envoyer et la trouvant très prometteuse, il la fait circuler à travers son réseau. Encouragé ainsi par Lovecraft, Fritz Leiber se lancera dans l’écriture de nouvelles « Pulps » et donnera ainsi naissance au « Cycle des Epées », l’un des cycles fondateurs et majeurs du genre « Sword and Sorcery ».
Hormis cette correspondance et son propre travail littéraire, Lovecraft travaille également comme « nègre littéraire » et de nombreux écrivains lui envoient leur texte. Il est souvent payé de façon ridicule mais pour Lovecraft ce travail fait partie d'une certaine idée qu'il a de l'entraide littéraire. Ses « révisions » vont de la simple modification de quelques phrases jusqu'à la réécriture quasi totale de l'histoire. Pour Lovecraft ce travail est tout à fait naturel et les experts estiment à plusieurs centaines le nombre de récits auxquels il a apporté sa contribution.
Il faut également se souvenir que Lovecraft a toujours souffert d'un grand complexe d'infériorité dû à son absence de diplôme et d'études universitaires. Lui-même s'est toujours considéré comme un écrivain médiocre (publié uniquement dans des « Pulps ») et il était heureux d'aider des écrivains renommés. Sa très riche correspondance a également permis de découvrir qu'il avait aussi l'habitude d'offrir des idées d'histoires à ses amis. Une générosité dont certains ont abusé et qui leur a permis de construire de petites fortunes, alors que Lovecraft lui-même a toujours vécu très modestement avec des fins de mois difficiles.
Aux USA de nombreux recueils sont depuis sortis compilant les divers textes auxquels Lovecraft a « participé ».
Lovecraft est donc hyperactif et en profite pour se lancer dans des lectures qu'il a jusqu'alors un peu négligé : l'économie et la politique. Ces lectures le poussent à revoir certains de ses jugements et en 1929, la « Grande Dépression » l'amène à soutenir le Démocrate Franklin D. Roosevelt pour qui il votera à l'élection présidentielle de 1932.
A partir de cette époque les allusions racistes disparaissent complètement de ses écrits et dans une correspondance de 1937 il reconnaît avoir pris « pour argent comptant les illusions et les préjugés traditionnels du milieu ».
Néanmoins la question du revirement antiraciste de Lovecraft reste à ce jour encore à discussion. En effet certains comme Michel Houellebecq (^_^) considèrent que ce revirement n'a été effectué que par pure convenance sociale.
Quoi qu'il en soit c'est durant les années 30 que Lovecraft écrit ses meilleures histoires, de plus en plus longues et complexes. Et paradoxalement leur longueur et leur complexité ont pour conséquence que Lovecraft a beaucoup de mal à les vendre, l'obligeant à effectuer de nombreux travaux de « révisions » pour joindre les deux bouts!
Sélections de quelques nouvelles que Lovecraft écrit de 1930 à 1935 :
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Celui qui chuchotait dans les ténèbres (1930) : Ce récit marque le tournant SF de l’univers de Lovecraft car il y évoque pour la première fois de façon directe son concept de « race cosmique ».
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Les montagnes hallucinées (1931) : Cette histoire d’une expédition en Antarctique qui tourne mal confirme le tournant SF de Lovecraft. En dehors de sa grande qualité narrative, ce récit achève la démythification de son univers.
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Le cauchemar d'Innsmouth (1931) : Une ville de pêcheurs isolées à la mauvaise réputation et qui n’aime pas les étrangers. Le récit Lovecraftien dans toute sa splendeur.
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La maison de la sorcière (1932) : Un récit sur les rêves que Lovecraft approche de façon « scientifique » et « cosmique ».
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Le monstre sur le seuil (1933) : L’un des rares récits non « cosmique » de cette époque, plus classique.
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A travers les portes de la clé d’argent (1933) : Cette histoire écrite en collaboration avec E. Hoffmann Price clôt le « Cycle des Rêves ». Un univers onirique où Lovecraft a traité sa mythologie sur le mode fantasy. L'un de ses chefs d'œuvres.
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Celui qui hantait les ténèbres (1935) : Un écrivain de roman fantastique fait une étrange découverte dans une église.
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Dans l'abîme du temps (1935) : Souvent considéré comme l’aboutissement du style Lovecraftien, un récit qui synthèse tous ses thèmes fétiches et qui fait écho dans le style et la forme aux montagnes hallucinées (à lire avant de préférence).
Lovecraft faisant le couverture du magazine Pulp « Astounding Stories »
Les dernières années de la vie de Lovecraft sont donc assez difficile financièrement. Dans une lettre édifiante à la femme de Fritz Leiber, il explique avec beaucoup d'humour qu'on peut correctement se nourrir avec peu et détaille ses « astuces » pour manger pas cher : « Les boîtes de conserves recèlent de merveilleuses possibilités ».
En 1936, après le suicide d'un de ses meilleurs amis, Robert E. Howard (créateur de « Conan le Barbare »), c'est le début du calvaire provoqué par un cancer de l'intestin qui le ronge. Durant tout l'hiver 36/37 Lovecraft lutte contre la douleur atroce provoquée par son cancer - ses dernières correspondances sont particulièrement émouvantes lorsqu'il évoque cette lutte de tous les jours.
Lovecraft décédera finalement le 15 Mars 1937 au James Brown Memorial Hospital à l'âge de 46 ans, des suites de son cancer.
A sa mort Lovecraft est un illustre inconnu. Peu de ses écrits ont été publiés, et lorsqu'ils le sont, c'est éparpillé à travers des magazines amateurs ou des « Pulps » - autant dire que leur visibilité est alors quasi nulle.
L'histoire aurait pu s'arrêter là mais c'est sans compter sur les très nombreuses amitiés que Lovecraft s'est forgé à travers son extraordinaire correspondance. Pour ses amis, écrivains pour la plupart, Lovecraft est un maître qui les a inspiré et influencé, et ses écrits méritent la couverture cartonnée toujours rêvée.
C'est ainsi que August Derleth et Donald Wandrei fondent en 1939 la maison d'édition « Arkham House » pour publier les œuvres de Lovecraft.
« Les Montagnes Hallucinées et Autres Histoires » aux Editions Arkham House
Le succès posthume de Lovecraft est tel que certains écrivains décident d'écrire des nouvelles utilisant la mythologie qu'il a inventée. C'est ainsi que August Derleth crée le « Mythe de Cthulhu » qui pose une cosmogonie et une mythologie cohérente de l'œuvre de Lovecraft. Le « Mythe de Cthulhu » permet de faire perdurer l'univers de Lovecraft mais le dénature également car August Derleth va ainsi, malgré son enthousiasme et son amour évident de Lovecraft, ajouter, organiser et compléter la mythologie Lovecraftienne d'éléments dont certains ne s'accordent pas vraiment à l’approche nihiliste de Lovecraft et même en y ajoutant des éléments issues d'autres mythologies - alors que l'une des grandes forces de la mythologie Lovecraftienne est justement de ne s'appuyer sur aucune mythologie existante.
Quoi qu'il en soit le « Mythe de Cthulhu » est un immense succès et depuis sa création d'innombrables auteurs ont écrits des histoires autour de cet univers. De même aujourd'hui de nombreux auteurs fantastiques utilisent les Entités ou les Livres inventés par Lovecraft au même titre qu'ils utilisent des références tirées de la mythologie grecque ou d’autres mythes. Lovecraft est devenu un style et une mythologie propre. Difficile de faire mieux comme reconnaissance.
Parmi les nombreux artistes reconnaissant et revendiquant son influence directe on peut citer en vrac : Robert Bloch, Roger Corman, John Carpenter, H.R. Giger, Philippe Druillet, Stephen King, Graham Masterton, Junji Ito et Mike Mignola.
Personnage étrange, à la fois social et solitaire, écrivant la nuit et vivant avec une ribambelle de chats à la fin de sa vie (animaux ayant toujours eu un rôle positif dans ses écrits), Lovecraft aura été toute sa vie obsédé par la puissance des rêves et l’insondable cosmos.
Il aurait aimé vivre au XVIIIe siècle et son style volontairement archaïque visait à reproduire celui des auteurs qu'il admirait profondémment (comme Poe). Cependant en même temps, Lovecraft vivait dans son époque et appréciait les lectures scientifiques et en particuliers celles d'Einstein.
Son œuvre elle-même est profondément nihiliste. Chez Lovecraft l’humanité est une race dérisoire qui n’a aucune idée de sa place véritable dans l’univers. Avant l’avènement de l’humanité, la Terre a été peuplée d’innombrables races différentes et après sa disparition encore d’autres races la peupleront. L’humanité n’est qu’un chaînon de l’immensité du cosmos et même pas l’un des plus remarquables – d’ailleurs dans la Bibliothèque de la Grande Race de Yith, l’histoire de l’humanité sera rangée dans une petite section à côté des races reptiliennes mineures !
De même dans l’œuvre de Lovecraft Dieu est totalement absent et lorsqu’un de ses personnages se retranche dans des convictions religieuses (crucifix par exemple) cela se révèle totalement futile. Quant à ses héros, ils sont souvent de simples spectateurs de ces horreurs cosmiques et ne peuvent que subir les événements. Suite à quoi lorsqu'ils ne sont pas morts (ce qui ne devrait pas tarder), ils deviennent fou.
Bref chez Lovecraft il n'y a aucun espoir pour l'humanité, même pas la consolation de comprendre ce qui lui arrive car la réalité du cosmos est trop vaste pour des insectes tels que les humains. D'ailleurs Lovecraft n'a jamais cherché à expliquer ou à rendre cohérente la mythologie qu'il utilisait pour illustrer ses histoires. Totalement inutile car outre le fait que cela n'intéressait pas Lovecraft qui visait avant tout à frapper ses lecteurs de noms étranges et inconnus, l'être humain ne peut comprendre par définition cette mythologie.
Ses histoires peuvent aujourd'hui sembler peu originale mais c'est avant tout parce qu'elles ont été des modèles sur lesquels une bonne partie du fantastique de notre époque a été bâti. Lire Lovecraft c'est retourner aux sources d'une certaine idée du fantastique.
Et aujourd'hui encore le British Musuem reçoît régulièrement des demandes pour consulter le Necronomicon!
