Je n'étais pas immédiatement revenu sur la projection de
Dr. Strangelove, parce qu'il n'y avait pas énormément à dire sur la séance, sur son avant et sur son après. J'ai été déçu de voir que les séances ne commenceraient pas toutes par un interview d'une personne ayant travaillé avec Kubrick, comme cela avait été le cas avec Kirk Douglas à l'ouverture de l'exposition.
Seulement trois choses valent la peine d'être rapportées.
D'un, j'ai découvert en me positionnant dans la file d'attente que celle-ci était très grosse, et que cela était due à un autre évènement concomitant avec la projection, d'une importance quasiment plus grande et que j'ai malheureusement loupé : une séance de dédicace par Christiane Kubrick, Marisa Berenson, Jan Harlan, Michel Ciment etc. Mais d'un, je n'avais pas pris connaissance d'un tel évènement, de deux je n'avais pas mon livre de Michel Ciment sur moi, de trois j'avais une séance de cinéma en même temps. Quelle sentiment de fébrilité ai-je eu en passant à cinq mètres de Marisa Berenson ! Un énorme regret, bien évidemment, mais cela fait que maintenant, je ne me déplacerais à la Cinémathèque qu'avec mon bouquin, des fois que.
De deux, je regrette que les sous-titres aient traduit la War Room par Salle des Opérations, d'autant plus inexplicable que la réplique énorme "Gentlemen you can't fight in here, this is the War Room" a failli en pâtir. Heureusement qu'il y avait quelques personnes qui devaient soit connaître le film, soit suivre la VO plutôt que les sous-titres pour s'esclaffer.
De trois, la réaction du public a été encore plus importante sur
Dr. Strangelove, les rires étaient francs, hauts, collectifs, et les gens se sortaient toutes les meilleures répliques en sortant de la salle (et Dieu sait qu'il y en a).
Et c'est tout concernant
Dr. Strangelove, la copie était très bonne pour son âge, et c'était un moment de félicité intense.
Hier soir, j'ai eu l'occasion de voir
The Shining, et cette séance figure parmi les plus importantes de la rétrospective avec les Courts-Métrages du Maître, dans la mesure où était diffusé en salle la version longue du film. 27 minutes de scènes et plans additionnels, je me devais de le voir.
Sur la séance en elle-même, toujours peu à dire, si ce n'est que je pensais que la salle serait encore plus blindée que d'habitude, l'aura
The Shining oblige, alors que c'était finalement la moins "remplie" (en gros, deux ou trois sièges étaient vacants). En revanche, j'ai beaucoup plus à dire sur le film en lui-même, puisque c'est la première fois que je voyais cette version.
Commençons déjà par un débriefing général : la copie était magnifique (entièrement restaurée ou au plus projetée deux fois) et la projection n'a souffert d'aucun problème comme
Barry Lyndon. Ambiance toujours aussi oppressante, quoiqu'en Cinémascope le film prend une toute autre dimension. L'atmosphère est encore plus palpable (surtout quand les spectateurs autour de vous sursautent à chaque scène), l'horreur se révèle vraiment dans ce format.
Les travellings du film, figures récurrentes de
The Shining, sont un pur délice, qu'ils soient arrière, avant ou latéral. La poursuite finale dans le labyrinthe est un grand moment de cinéma, de part la fluidité des mouvements de la caméra et l'opposition poursuivant/poursuivi qui se déforme au point culminant de la scène (mais seulement sur Jack, Danny étant toujours autant vulnérable). Les mouvements de caméra lorsque Jack défonce la porte à coup de hache sont d'une précision, d'une vélocité et d'une beauté époustouflante. Le passage où Halloran se fait tuer dans le hall de l'hôtel est saisissant, un des plus beaux moments du métrage, qui réussit à faire sursauter alors que c'est en un seul plan, sans
jump-scare surannée. C'est en tout cas une grande preuve du talent de Kubrick que d'arriver à faire sursauter en un seul plan, sans mouvement brusque de la caméra et simplement par l'apparition dans le cadre d'un personnage.
D'ailleurs, un dialogue au début du film, auquel je n'avais franchement jamais fait attention, est assez révélateur de la note d'intention de
The Shining. La famille Torrance est dans la voiture en direction de l'Overlook Hotel, et la discussion dérive sur le cannibalisme. Wendy arrête son mari dans son propos, et Danny réplique qu'il n'y a pas besoin de censurer la notion de cannibalisme, puisqu'il a déjà
tout vu dessus à la télévision. Ce à quoi Jack répond "Tu vois chéri, pas besoin de s'inquièter, il l'a déjà vu à la télévision". De cette phrase apparemment anodine, j'ai l'impression que Kubrick annonce qu'il a pour projet de faire péter toutes les attentes qu'on peut avoir du film en y injectant une substance horrifique encore jamais vu, et qui nous imprégnera puisqu'aucun équivalent n'aura alors jamais été diffusé au cinéma, ce qui sera effectivement le cas.
Concernant maintenant les rajouts de la version longue, cela commence avec la scène de l'entretien qui dure un peu plus longtemps qu'auparavant, mais c'est de l'ordre de la réplique plus qu'autre chose. La fluidité et le rythme de la scène n'en sont pas altérés, ce qui pourrait être étonnant dans la mesure où ces séquences ont été retirées, je dirais en revanche que Kubrick les a supprimés parce que la photographie dénote fortement. Les couleurs sont beaucoup plus vives que dans le reste de la scène et ça se voit énormément. Le perfectionnisme du réalisateur lui a certainement intimé de les retirer de la version internationale. A moins que ce soit un problème d'étalonnage de la pellicule, mais j'ai un doute. En tout cas, le sens de la scène est intact dans la version diffusée en France, qu'on se rassure.
Le deuxième ajout notable est celui d'une scène avant l'arrivée à l'Overlook Hotel, s'insérant entre cette dernière et la vision de Tony sur les portes d'ascenseur. On y voit un médecin ausculter Danny et avoir une conversation avec Wendy. La scène en elle même n'est pas essentielle, puisque beaucoup d'éléments importants seront rappelés par la suite. Par exemple, la fois où Jack a levé la main sur Danny, mais les deux versions de chacun des parents est intéressante à superposer (Wendy fait tout pour défendre son mari devant le médecin alors que Jack admet avoir eu une toute petite "perte de contrôle musculaire). Pour une scène aussi longue, sans tentative de contribuer à l'ambiance oppressante du métrage, on peut comprendre qu'elle ait été retirée. En revanche, elle permet de recentrer beaucoup plus
The Shining sur le personnage de Wendy, que j'ai limite redécouverte dans cette version et qui figure dorénavant parmi mes figures emblématiques de la filmographie de Kubrick.
Le parcours et la présentation de l'hôtel au jour de sa fermeture m'a semblé légèrement plus longue, spatialisant encore plus les lieux en évoquant par petites touches tous les lieux importants de l'histoire.
Ensuite, une scène pas nécessaire a été retirée pour fluidifier la narration. Elle se situe juste avant que Danny et Jack aient une conversation entre père et fils flippante sur les bords (le discours sur la famille est un peu différente de celle de Spielberg, d'ailleurs les deux parents ne montreront jamais un geste d'affection instinctif), et donne les raisons de la venue de Danny dans la chambre. Ce plan-séquence n'est pas fondamental non plus, il est néanmoins intéressant puisqu'il met encore une fois Wendy en scène et dévoile un peu plus le caractère de femme-soumise qu'elle entretient avec Jack. Pour apprendre que Danny veut aller chercher son jouet dans la chambre, c'est pas ce qui ruine la compréhension du film.
Halloran a aussi le droit à quelques séquences supplémentaires, mais celles-ci ne relatent que l'acquisition d'un caterpillar à Denver pour monter jusqu'à l'Overlook, et si elles ne sont pas très longues, elles sont d'un intérêt assez limité qui légitiment leur disparition de la version internationale.
Enfin, il y a une scène fantomatique en plus dans le final, où Wendy voit le hall de l'hôtel envahit de squelettes et de toiles d'araignées. La suppression de cette scène est totalement justifiée, puisque sa présence donne une impression de répétition lourde sur le schéma "Wendy traverse un lieu de l'hôtel et tombe sur une hallucination fantomatique", qui frise le ridicule. Et l'effet de cette séquence n'est pas des plus convainquants, ça m'a personnellement rappelé Pirates des Caraïbes, l'attraction de Disney. Ça ne gâche pas le reste de la séquence pour autant, loin de là.
En définitif, la séance m'a fait encore plus apprécié ce chef-d’œuvre du cinéma d'horreur, toujours aussi angoissant, fou, maîtrisé. A notre époque,
The Shining continue à faire effet, ce qui est un grand exploit pour un genre qui se démode en principe rapidement. J'en prends pour preuve la fille qui, à la fin de la séance, a dit "je ne dormirais pas ce soir".