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Texte 6 : L'absurdité d'(Ê)tre femme ? L'absurdité d'(Ê)tre femme ? Avant propos : La planète Glubard est divisée en 23 poullatons. Un rinophrage est élu chaque 50 PE qui peut s'allier avec d'autres rinophrages pour soumettre au surcanton une candidature au statut de poullaton. Si le surcanton estime que la dite zone a suffisamment de moyens pour vivre en toute autonomie, alors le sipoullaton est officiellement promu comme poullaton. Cette zone devient alors indépendante du surcanton qui garde néanmoins un fort pouvoir de regard et d'influence. Cette mesure a pour but de développer l'autonomie des zones de la planète sans pour autant favoriser l'enfermement sur soi ou la dégénérescence législative. Chaque poullaton dépêche alors un membre représentatif qui siège au sinulacre. Chaque loi est prédéfini par un sujet, si le sujet est validé par le surcanton et le parolier suprême alors les débats et votes s’effectuent au sinulacre.Lexique : - Un poullaton est une zone indépendante du surcanton, dont l'espace comprend les territoires de plusieurs rinophrages (11 min pour 99 max). Un poullaton gère sa zone de la manière dont il le souhaite. Seul le surcanton et les lois reines peuvent supplanter l'autorité d'un poullaton. - 1pe = 1.8km - Un rinophrage est une personne désignée par les diverses associations officielles d'un lieu affectée à la gestion du dit lieu. Chaque rinophrage gère 50pe de terrain. - Les piounosphères sont les espaces représentées par l'alliance de 2 (min) ou 10 (max) rinophrages. Les surcolonies sont d'énormes poullatons dont l'espace dépasse celle de 99 rinophrages. Les piounosphères sont directement régies par le surcanton, tout comme les surcolonies. Les surcolonies étant des espaces extrêmement puissants (de par leur taille et influence) le surcanton ne prend pas le risque de laisser les surcolonies s'autogérer. - Le surcanton est l'ordre autoritaire le plus puissant de la planète Glubard régissant les diverses composantes de la planète. Le surcanton agit comme un veilleur passif mais ferme concernant l'application des règles du parolier suprême. - Un sipoullaton est un espace ayant fait la candidature au titre de Poullaton attendant la réponse du surcanton. - Le conseil du sinulacre est la deuxième autorité la plus puissante de la planète. Le sinulacre est composé de représentants des poullatons, piounisphères et surcolonies. C'est le sinulacre qui vote les lois reines, c'est à dire s'appliquant à toute la planète sans distinction. - Le parolier suprême est un recueil recensant les règles les plus importantes et élémentaires régissant la planète.Sujet : Être femme ? Il fallait mettre l'accent sur ce problème, il fallait le mettre en évidence. Cela ne pouvait pas continuer. Il faisait chaud dans ce bâtiment, Camille étouffait, heureusement que des rafraîchissements sont à la disposition des membres. Tout cela est la faute de Dominique, toujours le ton conservateur, immobiliste, moqueur. Charlie s'approcha de Camille, il fallait faire le point sur la suite des événements. “Bon écoutes moi bien, jusqu'à présent on tient bien, ta partie sur l'aspect évolutif d'une telle réforme était bien faîte, même si Dominique a mis en avant la “faible importance d'un tel changement”.” Camille grogna. “Bien sur que le changement en lui même n'est pas important, c'est surtout l'image que nous donnons qui importe, nous remettre en question, nous et nos usages, nos pensées, nos pratiques, remettre en questions nos habitudes et acquis.” Cette logique, Camille savait que Dominique y était complètement fermé, néanmoins le reste du conseil peut être pas. Charlie reprit, “Reste calme surtout, il ne faut pas s'emporter, met en avant les aspects positifs de tes idées, n'oublie pas il faut que tu parles de-” “Je connais mes idées Charlie” trancha Camille. “Très bien très bien, assure toi d'enlever toute cette transpiration avant de retourner au conseil.” Camille se débarbouilla, respira un bon coup. Quelques instants plus tard Mettre l'accent sur cet etre est une aberration discourisa Dominique, le conseil n'a t'il pas mieux a faire que de débattre sur cette futile question : “Être femme ?” C'est bien ce qu'indique le sujet. Regardez cette heresie, nous foulons des annees de traditions et notre propre culture pour permettre une soie disante nouveautee. Ha oui, pour etre nouveau ça l'est, mais l'originalite seule n'assure en rien l'intelligence d'un propos si elle ne sert pas durablement un but viable aux consequences positives. Des idees nouvelles nous avons tous la possibilitee d'en proposer, ce que Camille ne comprend pas, c'est que nous ne voulons pas de nouvelles idees, nous voulons de bonnes idees. Il ne s'agit pas de mettre en place une sorte de quota abject ou le ratio de nouveautes devrait supplanter certaines bonnes traditions. Et ce n'est pas l'agitation frenetique et fanatique d'agitateurs qui doit faire chanceler le conseil. Oser reunir cette si prestigieuse assemblee pour la bete question de l'etre, c'est une aberration au mieux, une provocation au pire. Dominique se retourna vers Camille et prit une voix douce. Camille, voyons Camille, je salue votre courage, venir proposer un tel changement devant tout le conseil, c'est d'un … dramatique ! Neanmoins il est de mon devoir ... de notre devoir de se mettre en opposition de cette demande, nous ne pouvons remettre en question ce qui est durablement acquis et ce qui a fait ses preuves pendant tant de temps, nous ne pouvons accepter un dementellement de nos fondamentaux, des bases qui soutiennent la plus elementaire forme de notre societe : la definition formelle des entites. J'implore le conseil de refuser cette proposition. De plus, reprit Dominique, je m'interroge fortement sur l'utilitee d'un tel changement, j'admet sans mal que l'evolution se fait parfois dans la difficulte. Certes, mais de quelle evolution parlons nous ici ? Une bete changement de traitement sur ce pauvre etre. Changer nos reperes, je suis pret a le faire si cela vaut le coup, et cette proposition n'en vaut decidemment pas le coup. Camille sentit peser le poids des regards. Camille savait que certaines personnes du conseil la soutenaient, mais malgré cela, Camille sentit la solitude peser sur ses épaules, c'est à se demander si parfois, il ne fallait mieux pas rester au lit. Ne pas paniquer, rester calme, c'est le moment décisif. Camille prit une bonne inspiration et regarda à nouveau le sujet pour se donner du courage : Être femme ? Camille sentit le calme revenir. Camille se leva. Camille balaya lentement la salle du regard, s'arrêtant tout spécialement sur Dominique. Camille sourit alors et d'une voix tonitruante s'adressa à la foule. Si nous écoutons le membre Dominique, nous apprenons alors qu'affirmer “Être femme” est une aberration, une abomination contre nature allant à l'encontre de nos valeurs et traditions. Ce cher membre ici présent nous affirme sans sourciller que la société entière pâtirait du changement que je propose. Que de grands mots, que de grands concepts, venant d'une personne qui ne maîtrise même pas le sens du mot : futur. Oui le futur, cet illustre inconnu que nous redoutons tous et qui agit sur nous de la manière la plus imprévisible et personnelle qui soit. Certains se complaisent alors dans le passé, caressant le doux rêve que tout reste figé à jamais. Ces gens là, mués par la peur, ne désirent rien d'autre qu'un monde en pause, immobile. Le temps pour eux de bien s'harnacher à leur vision petite du monde et de son évolution. La peur d'être perdue, de la peur de ne plus être à sa place ou plus simplement : la peur d'être laissé pour compte. Voila ce qui anime ces personnes. Oui, le monde, le futur, tous ces grandes notions invoquées ne doivent pas nous intimider ou nous faire douter, car ce sont ces concepts qui régissent l’avenir, hors l’avenir est la seule temporalité que nous pouvons modeler. Il ne s'agit pas de perdre nos repères, mais de les façonner à notre manière, de les rendre malléables à nos besoins, à nos êtres ! Avoir peur du changement, ce n'est pas avoir peur de perdre ses repères mais bien de la peur de notre propre incapacité à nous adapter, à nous remettre en question. Aujourd'hui ce n'est pas “Être femme” dont il est question, mais véritablement l'avenir. Si le conseil décide que rien ne peut être amélioré, que rien ne peut être simplifié, si le conseil pense que l'accent ne vaut pas la peine d'être mis sur le problème évoqué, si le conseil estime que le monde légué au futur est parfait alors je m'inclinerai. Mais il existe une autre option, une possibilité annexe où le conseil considère plus attentivement la notion de changement, d'évolution, car si les traditions font hier, demain est assurément sous la bannière du changement. Je vous propose de prouver à tout le monde que nous avons la capacité d'aller de l'avant, la capacité d'effectuer ces changements allant à l'encontre des facilités de notre quotidien mais qui vaillent le coup. Au nom de la richesse, au nom de la reconnaissance, au nom de notre culture ! Je demande au conseil de voter en tout état de cause, cet accent que je demande a pour vocation d'uniformiser les pratiques, à ne plus faire la différence entre grands et petits*, sous cette bête demande, je vous demande un peu d'égalité. Merci à tous. Silence intima Maitre Sacha, Maitre Sacha présidait le conseil, Maitre Sacha se leva, Que le vote commence, je rappelle les options, si vous êtes pour la mise en place d'un accent circonflexe sur le “E” majuscule, comme l'indique l'exemple “Être femme”, alors remplissez votre feuille d'un “oui” bien lisible. Si vous être contre ce changement et que vous souhaitez ne pas voir d'accent circonflexe sur le “E” majuscule alors inscrivez "non" tout aussi lisible sur votre feuille. Merci. Après dépouillement Maître Sacha se leva, A 679 voix contre 422, la décision est prise, Dorénavant les “E” majuscules doivent prendre un accent circonflexe, dans le cas bien sur où le mot en minuscule en prend un. *Grands et petits caractères. Texte 7 : Rêves Rêves - Bouge-toi Glandu ! Bon Dieu, mais qui m'a donné un commis pareil ! Tu crois que ces carottes vont s'éplucher toutes seules ? Le couteau fusa comme l'air, arrachant la peau en un geste précis et net, découvrant la chair nue et colorée. Lentement, le fluide s'écoula, goutta, petit à petit, sur les mains habiles du cuisinier. Le regard vide derrière ses sombres mèches, l'homme s'appliqua à trancher diligemment sa victime agonisante. Nulle trace d'horreur ni de dégoût dans son regard : juste une colère, cachée telle un monstre au fond de ses prunelles, impatient de s'attaquer à sa prochaine cible. Bientôt. Oui, bientôt, se disait le jeune homme, un rictus au coin des lèvres, alors qu'il abattit une dernière fois son couteau, dans un mouvement sec et contrôlé, comme le lui avait appris son mentor. - Voici vos carottes, Monsieur, épluchées et coupées comme vous l'aimez. - Et tu crois qu'elles cuiront toutes seules, bougre d'âne ? Mets-les dans l'eau immédiatement ! - Bien monsieur ! La femme. Peu de personnes avaient parié sur ce projet complètement novateur, lorsque l'idée avait été couchée sur papier. Qui aurait été capable de prédire un tel avenir à ce restaurant cabaret à ses débuts de l'air prude et bourgeois du 19e siècle ? Personne. Seul Armand Demoussure avait eu le cran et l'audace, il fallait le dire, d'ouvrir un tel établissement. La femme. Qui n'avait jamais entendu parler d'elle, de ce néon arborant une jambe des plus sexy, du bout des orteils au haut de la cuisse ? Tout le monde la connaissait et surtout, tout le monde en avait parlé. D'abord pour critiquer ce manque de goût et de noblesse flagrant, de la part du financier. Mais la qualité de la nourriture et la finesse des shows présentés chaque soir avaient vite fait de convaincre l'ensemble de la ville. La femme était un must-have, un endroit chic et distingué, qu'il fallait absolument côtoyer pour oser prétendre que l'on appartient au monde d'en haut. Les années s'étaient écoulées, emportant avec elles toute une époque et les fondateurs du projet. Mais la volonté d'Armand Demoussure, elle, était restée intacte et se transmettait de génération en génération, de fils en fils, d'époque en époque. Comme le vieil homme aimait le dire avec son sourire malicieux et avenant : une cuisine fine et un show succulent. Et même plus : une cuisine succulente et un show fin. Seuls ces deux éléments étaient importants, comme aimait le rappeler le vieil homme lors des dîners de famille, et seules ces deux choses permettaient à la Jambe de perdurer. Ainsi, la volonté du vieux Armand avait été respectée et les deux éléments intemporels de la Femme avaient traversés le temps : la cuisine était assurée par de grands maîtres en la matière, tandis que le show, lui, était tenu par les meilleurs artistes, troupes ou groupes de musiques du moment. À l'arrachée, le grand chef étoilé Diego Pancha avait hérité de la place convoitée de chef cuistot. Rigide, impoli et emmerdeur, tels étaient les mots les plus justes qui caractérisaient le cinquantenaire. Mais la qualité de sa cuisine était aux antipodes de son caractère et il fallait bien l'avouer, l'homme était un des meilleurs de sa génération, le plus cruel aussi avec son personnel de cuisine. Nombreux étaient les bleus récoltés qui ne correspondaient pas aux attentes du chef étoilé. Ils étaient à peine moins nombreux quand les commis réussissaient leurs tâches dans les temps impartit. Le terrible chef aimait se promener à travers les cuisines, tel un général passant en revue ses troupes avant la grande offensive. Pour les galvaniser, pas de grands discours, ni même de compliments : les insultes, ordres et coups de louches étaient ses plus redoutables armes de motivation. Les départs anticipés étaient nombreux à la Femme, mais cela importait, à vrai dire, peu, Armand Loic Junior Demoussure, gérant actuel de l'établissement. Les commis se présentaient par légion à ses portes dans l'espoir d'être engagés. Tant que le chiffre d'affaires dépassait le nombre de départs de personnel, Armand s'en fichait comme d'une guigne. Aimée Sonate, quant à elle, se chargeait d'animer la majeure partie du show. Elle aussi, constituait certainement la plus prisée des stars du moment : chanteuse inégalée, danseuse incroyable et actrice hors pair, la belle accumulait les qualités sur scène et dans la vie. De l'avis des régisseurs sons et lumières, des costumiers et maquilleurs, des danseuses et roadies, la belle était la personne la plus agréable avec qui travailler. Un maquillage trop appuyé ? Un sourire venait le récompenser. Une épingle oubliée sur un bord de manche : un rire l'accompagnait. Une demande en mariage bien trop précipitée par le chef du local poubelle ? Une bise lui répondait. Tout, avec Aimée, se faisant dans la douceur, la gentillesse et la joie de vivre. Tout dans sa personne poussait les gens à l'aimer et il n'était pas rare que l'on entende, dans son sillage : "mon dieu qu'elle porte bien son nom". Les deux étoiles montantes s'appliquaient donc à faire la fortune de la Femme, et la Femme, elle, leur rendait bien, en leur attribuant chaque mois un cachet exorbitant. Mais qui s'en souciait, lorsque l'argent rentrait à flot et que le summum du chic et de la gastronomie se rencontraient, le temps d'une soirée. Personne? Et entre ces deux étoiles ne subsistait qu'un seul homme ; le jeune Fred. Le commis avait été engagé en même temps que les deux stars, à vrai dire et sa durée exceptionnelle dans les cuisines faisait de lui un être admiré par tous ses compairs. Mais la reconnaissance de ses paires et le mépris du maître, Fred n'en avait cure. L'homme ne s'échinait qu'à une seule et même chose ; tailler le mieux possible ses légumes. Réussir de son mieux possible la mayonnaise. Assaisonner de la meilleure des façons, la soupe servie par le maître. Fred avait un objectif, unique en son genre et lancinant dans sa tête : Fred voulait, un jour, être la star dans la Femme. Mais pas n'importe laquelle. Il voulait à la fois devenir le chef étoilé, le commandant en chef des forces culinaires de la Femme, mais aussi et surtout, Fred voulait se produire sur scène, ne serait-ce qu'une fois. Sa témérité et son acharnement le mettait selon lui sur la bonne voie : non seulement le jeune homme s'était développé un sens musical hors du commun pendant son temps libre, mais surtout, il était parmi ceux qui recevaient le moins d'insulte de la part de Diego. Une fierté pour lui ! - Arrête de rêver, idiot d'âne, la vaisselle ne va pas se faire toute seule ! La réflexion fut accompagnée, par le bruit de verre brisé, alors qu'une fine assiette, à la dorure magnifique, était brisée et écartelée de toute part, sans aucune pitié. C'était ce qu'on appelait la faute à pas de chance. En criant, le chef avait fait sursauter le jeune homme qui, dans son sursaut, avait cogné un des derniers commis fraîchement arrivé qui portait sur sa main, l'assiette préférée de Diego Pancha, celle qui mettait, disait-il, le plus en valeur son art. Un coup de louche cueillit Fred au creux du menton, alors que l'assiette gisait par terre, en mille morceaux. - Que tout le monde quitte la cuisine maintenant, rentrez chez vous bougres d'incapables ! La salle est vide mon petit vieux, mais toi, abruti, tu finiras ta soirée ici, tout seul, à faire la plonge jusqu'à ce que tu comprennes que ta place n'est pas ici ! Dépêche-toi ! Fred sourit. Que pouvait-il faire, à part sourire ? Renoncer et quitter son poste ? Jamais. Se rebeller contre le maître ? Non plus. Fred avait bien trop d'estime pour celui qu'il comptait un jour dépasser. Il regarda l'heure, en souriant. Minuit et demi. S'il travaillait bien, il aurait fini juste à temps pour le déjeuner du lendemain. Soudain, il entendit la porte d'entrée s'ouvrir, puis claquer sous l'effet d'un courant d'air alors qu'une douce voix s'excusa, avec un petit gloussement enjôleur. Tendant l'oreille, Fred pu saisir au vol la conversation, son attention toute portée sur ses oreilles alors que ses bras, machinalement, frottaient des restes de purée séchée. - Aimée, que puis-je faire pour vous ? - Bonsoir Diego... Dis, je suis un petit peu gênée de te demander cela, mais est-ce que je pourrais avoir un repas, vite fait ? Je comptais souper avec un de mes producteurs, mais il a annulé au dernier moment et comme je sais qu'ici, on mange plutôt bien... - Plutôt bien ? - Je rigole Diego ! - Bien, tu peux t'installer ou bon te semblera. Je ne peux pas te refuser cela. Mais ne t'attend pas à manger "vite fait". Ça n'existe pas ici ! - Merci Diego ! Tu es un ange ! La porte claqua une nouvelle fois, cette fois-ci celle des cuisines, alors que le chef bedonnant entra, la mine déconfite. - Minable, file à la chambre froide voir s'il reste quoi que ce soit comme viande ! J'ai bien peur qu'elle ne soit vide. - Monsieur, j'y suis rentré il y a moins d'une heure et je sais qu'il ne reste plus qu'une seule chose : un gigot d'agneau. - Epluche vite des pommes de terre, je me charge de la viande. Le rythme des casseroles tambourinant et des ustensiles bruyants repris vite son cours en cuisine et les deux hommes, inconsciemment, se mirent à travailler de concert, tel un couple de longue date, anticipant le mouvement de l'un et de l'autre, dans une vitesse d'exécution époustouflante. Ce plat, ils l'avaient tant fait : le gigot d'agneau mariné au miel avec son lit de pommes de terre mitonnées au vin rouge. Fred le connaissait par cœur et était bien décidé, quoi qu'il advienne, de cuisiner de tout son cœur pour la tant aimée Aimée. Le plat, doucement, prenait consistance, le doux fumet s'élevant sans peine dans toute la cuisine. - Je vais donner un peu de compagnies à notre star nationale. Il ne reste que deux minutes à l'agneau, bougre d'avorton. Pas une seconde de plus tu m'entends bien ? Sors-le à l'heure exacte sinon, c'est toi que je servirai à manger ! - Bien monsieur ! Aimée. Rien que l'évocation de ce nom provoquait chez le jeune homme des papillons dans le ventre. Personne, de son rang social, n'avait aussi bien traité le jeune homme qu'elle. Il avait eu l'occasion de la croiser plusieurs fois, sur le parking ou dans les couloirs. Jamais elle ne l'avait regardé de haut : son sourire lui avait plusieurs fois réchauffé le cœur alors qu'il s'apprêtait, il savait, à vivre une nouvelle soirée d'injures, de cris et de coups de louches. Aimée. Ses yeux souriant lui rappelaient à quel point la modestie rendait une telle femme encore plus belle qu'elle ne l'était. Dommage, pensait Fred, que tant de stars actuelles ne cultivaient pas une telle qualité. Le jeune homme, les yeux dans le vide, continua de penser à celle qui embellissait ses journées. À son futur sur les planches aussi, ou il l'espérait, sans trop se l'avouer, partager un duo avec elle. Plus que tout, ce serait pour lui une véritable consécration. Soudain, les rêves de sourire, de projecteur et d'acclamation furent remplacés en un claquement de doigt par une odeur des plus désagréable qui soit dans une cuisine ; une odeur de brûlé. Le gigot se consumait dans le four, telle une sorcière sur un bûcher, fumant et exaltant cette odeur désagréable dans toute la pièce. La panique s'empara rapidement du jeune homme qui, sans réfléchir, ne trouva rien de mieux que de jeter immédiatement le gigot dans la poubelle après l'avoir passé sous l'eau. Ce fut précisément ce moment-là que choisi le chef étoilé pour rentrer dans la cuisine. - Ça vient ce... - Monsieur, je m'excuse, je vous en supplie... - Je... Je vais te tuer !!! L'homme se rua sur le jeune homme, son visage bouffi rouge de colère, alors que ses yeux sortaient de ses orbites, comme si eux même voulaient faire du mal au jeune commis. Les mains du chef se refermèrent sur la gorge de Fred qui, tellement habitué à se faire disputer et brimer par son supérieur, avait totalement perdu ses réflexes d'auto défense et se laissait secouer et étrangler, comme un prunier. Le chef, sa voix étranglée par la rage, serrait de plus belle ses mains noueuses autour de la trachée du jeune homme : - Qu'est-ce que je vais servir maintenant, bougre de salau... L'insulte, la toute dernière insulte que prononça la chef étoile, lui qui les avaient tant choyées tout au long de sa vie, fut interrompue par un coup de couteau, sec et précis, en plein œil. Pas de main tremblante, pas de regret, pas de pitié. Proprement, le jeune cuistot sortit la lame avant de l'enfoncer une deuxième fois, cette fois-ci dans l'autre œil, afin d'être sûr que son chef tant adulé était mort. L'homme s'effondra en avant, a même le plan de travail. - Parfait pour travailler ça ! Avec application, Fred entreprit de découper les vêtements de son maitre et sélectionna les morceaux qu'il pensait être les meilleurs. Un peu d'épaule, l'arrière de la cuisse et une bande de peau, qu'il passa au chalumeau avant d'envelopper la viande avec. Avec dextérité, le jeune commis signa le plus étonnant plat de sa vie : une aumônière espagnole sur son lit de pomme de terre. Un sourire pointa sur ses lèvres, alors que la viande finissant de cuire, l'homme disposa les restes de son défunt chef dans la chambre froide. L'odeur s'échappant du four harcelait ses sens ; mélange de porc et de bœuf, qui finit de conquérir totalement le jeune chef : ce plat serait étonnant et détonnant. Il avait tout fait pour pouvoir servir à manger à Aimée et, il le savait, elle ne serait pas déçue. Tout son talent s'était concentré dans un ultime effort pour proposer à la jeune femme sa plus belle création. - Mademoiselle Aimée ? - Oui ? - Le chef Pancha vous demande de l'excuser, mais il est sujet ces derniers temps à quelques chaleurs et il est parti se rafraichir à la chambre froide. C'est moi qui vous présenterai le plat ! Cela ne vous pose pas de soucis ? - Vous plaisantez ? Aucun souci. Fred, c'est bien ça ? - Oui mademoiselle. Voici donc, une Pancha espagnole marinée au miel sur son lit de pomme de terre au vin rouge. Et son accompagnement, un beaujolais de 1975. - Merci. Cela sent délicieusement bon ! Voulez-vous rester un peu ? - Si ma compagnie ne vous dérange pas... - Pas du tout ! Ce n'est pas agréable de souper toute seule. Les cuisines sont bien calmes... - À vrai dire, le service des autres est fini depuis une heure. Il ne reste plus que moi... Et le chef ! - Je suis désolée de vous avoir fait rester plus tard juste pour moi... Je n'ai pas d'habitudes de telles excentricités. - Ne vous inquiétez pas, c'est un plaisir de cuisiner pour quelqu'un comme vous. - En tout cas, ce plat est délicieux... Et la viande... Fondante à souhait ! Vous remettrez mes compliments au chef, si je ne le vois plus. - Je n'y manquerai pas ! Le temps défile, au rythme des mastications et des gorgées de vin que prend la jeune star. Aux anges, le jeune commis savoure chaque instant de ce repas fantastique où il contemple la femme la plus fascinante de sa génération dévorer une partie de son talentueux et défunt patron. Son sourire s'élargit de plus en plus, alors qu'Aimée, les yeux brillants, l'assiette vide, parle de sa voix douce et joyeuse : - J'aimerais vous remercier d'avoir cuisiné aussi tard pour moi ! - Mais non, voyons, vous n'êtes pas obligées ! - J'insiste, ça me fait plaisir ! Que puis-je faire pour vous ? - Eh bien, comment dire... Vous savez, j'ai un rêve... - Vous avez raison, c'est important les rêves ! Ils permettent de faire des choses totalement folles pour eux ! - Ça oui ! Mon rêve, c'était de pouvoir travailler comme chef, ne serait-ce qu'une fois dans ma vie. Et en venant aussi tard, vous m'avez permis de réaliser ce rêve ! Et maintenant, grâce à vous, mon deuxième rêve peut se réaliser aussi. - Oh ! ça serait avec plaisir Fred ! - Chantez avec moi ! Sur scène ! Une seule chanson sur scène avec vous à mes côtés et je serai le plus heureux des hommes ! Les chaises coulisses, la guitare s'accorde, les micros sifflent : tout est installé rapidement par les deux artistes afin que leur duo puissent se mettre en place. Les regards s'échangent, d'abord timidement, avant d'être franchement complice. - Connaissez-vous For You, du groupe Angus et Julia Stones ? - C'est l'un de mes groupes préférés ! - J'aimerais interpréter celle-là, si ça vous va. - Musique, maestro ! Les accords résonnèrent dans la salle, vide, mais pourtant emplie de joie, de sourire et de musique. Deux ou trois fausses notes résonnent, le stress aidant, avant que le jeune musicien se transcende par la douce voix fraîche qui entame la musique. Pas d'hésitation. Pas d'accroc. Aimée maitrise parfaitement sa voix, dont elle fait cadeau, de tout son cœur. La jeune femme était ainsi : qu'il y ait une personne ou mille personnes dans la salle, seul la sincérité de son interprétation comptait pour elle. Et puis, ce fut le tour de Fred. Sa voix, légèrement grave et atypique résonne dans le micro, trop fort à son gout. Pourtant elle résonne et sonne même, à son plus grand étonnement, plutôt bien. Et puis, qu'importe le jeune homme s'il se révélait au final le plus mauvais chanteur au monde : rien ne pouvait briser, en cet instant, cet intense moment de bonheur. Survint alors le moment ou les deux voix se marient, dans une symbiose des plus parfaites. Fred sent son cœur battre à 100 à l'heure, alors que la jeune femme le regarde de ses grands yeux bleus. Dès demain, plus rien ne sera plus jamais pareil pour lui. Dès demain, sa vie prendrait une tournure inattendue et surprenante. Mais demain était loin, demain était insignifiant. Seul comptait l'accomplissement de ses rêves. Seul comptait, l'instant présent, qui, gravé en lui, résonnerait encore, encore et encore. Texte 8 : Linda Linda Agenouillé avec trois brigadiers au milieu de la pièce déserte, devant le cadavre de Linda Villiers, en lambeaux du torse aux cuisses et à la tête ruinée, le docteur Gibbs soupira. Quand les autorités de Metz allaient-elles enfin engager un vrai légiste à plein temps et le laisser à son armoire à pharmacie ? Bien que n’étant pas lui-même policier, son premier constat était sans appel : l’opération d’infiltration des Œcuméniques s’avérait un échec. Le commissaire Janvier lui tapota l’épaule. -Des pistes ? -Ce n’est pas normal… marmonna le médecin. Ils s’étaient fait connaître pour plus de discrétion – la strychnine, ce genre de sirops. Pas une telle sauvagerie. Ce n’est litérralement pas catholique. À cet instant, Gibbs s’arrêta, fixa le bas-ventre. Puis, il indiqua du bout du doigt le seul morceau encore identifiable : -Bon, voilà déjà qui explique leur rage. Au moins, sa couverture était solide, ou en tout cas elle n’a percé qu’après coup. Janvier était trop absorbé pour lui répondre. C’est avec une face sanguine qu’il ordonna au brigadier le plus proche : -Tout le monde dans la pièce à côté dans dix minutes. Les vingt policiers et le médecin étaient alignés en rangs serrés devant le commissaire. Toute une gamme d’anxiété était observable en leur sein. Le commissaire passa en revue ses hommes pendant un moment, mais aucun d’eux n’osa broncher. -Gibbs, chargez-vous de l’exposé ! trancha Janvier, faisant sursauter l’épais bonhomme qui consulta ses notes. -Oui, commissaire. Bien… Pour faire court, du peu que j’ai vu de la victime, il s’agissait bien de la recrue Linda Villiers, c’est incontestable. Cependant… ses organes sont sans plus de conteste ceux d’un homme. Sans doute là ce qui a provoqué le châtiment des membres de la secte. Janvier reprit la parole : -Quelqu’un peut m’expliquer ça ? Silence général. Le silence était généralement de mise lorsque le commissaire Janvier se montrait dans cet état. Il insista : -Est-ce qu’enfin quelqu’un peut m’expliquer quoi que ce soit ? Cette fois-ci, le commissaire réussit à déceler un regard dans ce silence. -Autelbas ? -Je… crois pouvoir répondre, répondit timidement le plus maigre des policiers. À bien y avoir regardé maintenant, on dirait Alexandre Vilmin. Je crois. Il était en services à Lyon à la même époque que moi. Il a quitté son poste pour une dépression… -Bien, bien ! l’interrompit le commissaire, qui n’avait visiblement pas besoin d’en apprendre plus. Donc, on a réussi à écoper d’un trave dans l’équipe. Il faudra savoir comment. -Ça vous intéresse tant que ça, commissaire ? s’enquit Autelbas. -Je veux, que ça m’intéresse ! Vous avez pu le constater, mais votre Loïc a foutu en l’air trois mois d’investigation avec ses conneries ! Jamais un vrai pro n’aurait fini comme ça ! Gibbs saisit la balle au bond pour intervenir : -Sauf votre respect, commissaire, travesti ou pas travesti, je vous avais prévenu que cette mission se terminerait dans- -Et sauf votre respect, doc, restez en dehors de ça ! Ce sont mes hommes, ils sont prêts à risquer leurs tripes, c’est à ça qu’on les prend ! -Même si vous saviez ce qui pendait au nez des femmes dans ce genre de secte ? -La cible lambda étaient les femmes, on envoie une femme pour pas se faire repérer, c’est si compliqué à comprendre ? Vous voulez m’apprendre mon métier, peut-être, doc ? Les gars ici sont tous rodés, c’est comme ça que ça marche! Le médecin leva les paumes en guise de capitulation. À peine moins renfrogné, Janvier se retourna vers ses troupes : -Quoi du côté des affaires du mort ? Le brigadier Merai prit la parole : -Les affaires personnelles qu’elle… qui avait été emportées, chef. Pas de manque suspect. On n’a pas encore retrouvé à coup sûr ce qui a mis la puce à l’oreille des Œcuméniques concernant la mission. En revanche, nous avons aussi mis la main sur une lettre, a priori un testament ou quelque chose du genre. -Bien, vous rassemblez le tout et vous me mettrez tout ça sous scellé dès le retour dans les locaux. On s’occupera de tirer tout ça au clair plus tard. Du rang le plus à l’arrière, une main se leva. -Excusez-moi commissaire, mais qu’il… enfin, qu’elle ait été un homme, c’est si important que ça dans l’affaire qui nous intéresse ? On risque de laisser filer les suspects. -Les suspects ne nous ont pas attendus. C’est une question de principe, Laurel. On ne dissimule pas ça à son propre service. Et soit dit en passant, personne n’aurait dû être assez incompétent pour laisser passer une chose pareille. -Sauf vot’ respect, commissaire, il était connu pour être un spécialiste en- -ROMPEZ AUTELBAS ! Si y’a des responsables à tout ça, c’est au niveau du recrutement. Qu’ils fassent leur boulot ! Ce qui est sûr, par contre, c’est que quelqu’un parmi nous a permis ceci. Et sitôt rentrés, on s’occupera à trouver le coupable, que ça ne recommence pas. Le signal était suffisamment clair. Quelques regards s’échangèrent à la vavite entre quelques-uns des gradés, pour revenir le plus vite possible au calme de mise. Après de longues secondes de silence, Merai se décida à poser la question fatidique : -Hem… Commissaire? Que devra-t-on rapporter à la presse ? Bien que le regard du gradé fut une réponse déjà claire en soit, il clarifia d’emblée : -On rapporte rien du tout. Le service est pas foutu de reconnaître un bonhomme, les suspects ont filé à l’anglaise et on a un corps sur les bras. Je pense qu’on va se passer de la publicité pour l’instant. Dans les locaux de la police messine, Albin Merai venait d’apposer le cachet de cire sur le vingtième scellé de la journée. Au moment où il posa le testament devant lui, le grincement de la porte de son bureau le fit sursauter. La tête maigrelette de Cyril Autelbas dépassait de l’ouverture. -Hé, tu es partant pour une pause ? -Café ? -Les gars s’apprêtent à cuisiner le doc. Histoire de voir si c’est lui, rapport à Loïc. Tu viens voir ? Albin dressa devant lui sa main gantée et souria en coin de sa grande bouche : -On me paye pas pour lire l’annuaire. -Rho, t’es con alors, pas pour le médic quand même. À toutes ! Sitôt la porte fermée, Albin glissa la main dans la poche interne de sa veste et en tira son portable, tout en se mettant dos à la caméra de sécurité. La lettre de Linda n’était pas encore dans l’enveloppe. Albin se satisfit intérieurement d’avoir été celui désigné pour réaliser les scellés. Il jeta un dernier coup d’œil alentours, déplia délicatement la lettre de feu son amie, et prit une première photo du recto. Texte 9 : Le Bonheur Le Bonheur
L'ange, blasé et mal rasé, conduisit l'âme à travers le dédale obscur du paradis. Au détour d'un couloir, ils croisèrent une cohorte de faucheurs, capuchons rabattus. Leurs grandes faux brillaient d'un éclat malsain tandis qu'ils avançaient résolument en direction des portes noires. L'âme examina curieusement ces bourreaux : c'était l'un d'entre eux qui lui avait arraché la vie, alors qu'il était encore un vieillard au bord de l'agonie. Désormais, l'âme n'était plus rien, elle attendait simplement sa réincarnation, et l'ange la conduisait vers ce nouvel espoir. Les faucheurs disparurent dans le néant en sifflant de mortelles mélodies. Maugréant contre la lenteur des circulations dans ce vaste au-delà, l'ange continua de guider son âme attitrée. Ils dépassèrent le mausolée des dieux - décédés depuis des siècles -, enjambèrent le Styx, grignotèrent un morceau de biscuit sur la terrasse céleste puis plongèrent dans les entrailles enfumées du Bonheur.
Le Bonheur, officiellement appelé le centre des réincarnations, était un bâtiment informe, qui pulsait parfois comme le ferait un coeur. Ses murs suintaient l'humidité et crachaient littéralement des bulles de savon. C'était assez ironique que l'endroit soit aussi délabré, alors qu'il représentait pour les âmes une chance de repartir à zéro. Le guide épousseta ses ailes. Ici, un brouillard épais ne cessait de se frotter aux visiteurs. Probablement pour les dissuader de déserter le paradis. Après tout, c'est contre-productif pour un cimetière céleste de laisser ses morts s'évader ! Mais ils n'avaient guère le choix. Les anges devaient suivre l'antique Charte du Paradis, rédigée par une divinité quelconque. C'était évidemment une farce, mais personne n'avait jamais pensé à démasquer la supercherie. L'auteur de cette blague devait bien rire !
L'âme se présenta au guichet, toute guillerette. L'atmosphère ambiante ne semblait pas la décourager ! Elle voulait revenir sur terre et essayer une nouvelle existence. Expérimenter de nouvelles sensations ! Elle n'avait même pas besoin de jeter un oeil aux affiches décolorées pour faire sa décision. Des pancartes tentaient effectivement de séduire les touristes avec des slogans aguicheurs, des cadavres sortant de leurs tombes et se métamorphosant en beaux jeunes gens, des chats évoluant en truites, des marteaux muant en portraits d'art contemporain. L'ange s'accouda au comptoir en soupirant.
-"J'vous comprends, au final. La vie en bas doit être vachement plus cool qu'ici." cracha mollement la créature ailée. "C'est vrai quoi, on a même pas le droit de faire la fête et les congés payés n'existent pas."
Un deuxième ange s'approcha, coiffé d'une auréole fabriquée avec du papier mâché et des néons recyclés. Il arborait un sourire commercial et riait sans aucune raison valable. L'âme essaya de lui serrer la main, avant de se souvenir qu'elle était translucide. Tant pis ! Le secrétaire se mit à débiter son texte, sans cesser de sourire - véritable exploit ! - :
-"Bienvenue au Bonheur ! Parce que le Bonheur est à portée de paradis ! Nous sommes heureux de vous offrir le moyen le plus rapide et le moins éthique pour vous réincarner dans le monde tel que vous le connaissiez. Vous aurez le droit à une seconde chance ! Si vous en êtes à votre dixième réincarnation, j'ai bien peur que notre forfait ne puisse pas s'appliquer à votre fréquence d'âme. Veuillez dans ce cas vous adresser à mon collègue Larry, qui s'occupe des suicides célestes."
L'âme confirma qu'elle était une petite nouvelle. Elle découvrait tout ce joli système. L'ange à l'auréole en fut enchanté et continua :
-"Mais c'est formidable. Alors, voici votre formulaire d'inscription. Vous pouvez choisir votre nouvelle vie en un seul coup de crayon divin ! Il suffit de cocher les cases. Nous acceptons les réincarnations en animaux, végétaux et même minéraux, mais vous n'êtes pas autorisés à bénéficier de la célébrité automatique. Il faudra que vous mettiez vous-même les mains dans le cambouis, comme on dit chez vous ! Faites votre choix. Cependant, avant de nous intéresser à tous ces détails techniques, il faut que nous sachions : voulez-vous être mâle ou femelle ?"
Il y eut un moment de silence. Le guide-ange-blasé-qui-veut-des-congés-payés s'envola ailleurs devant le sérieux qu'avait prit la conversation. Il ne désirait pas être mêlé à un débat sans queue ni tête. L'âme réfléchissait. Elle avait été homme dans sa vie précédente, masculin et viril jusqu'au bout des ongles. Jamais il n'avait eu de considération pour le sexe opposé. Peut-être était-ce là l'opportunité de comprendre ? De saisir tout le sens d'être homme ou d'être femme ? D'abolir tous ces préjugés qu'il sentait encore en lui ? L'âme se pencha au-dessus du comptoir et chuchota.
-"Je veux être femme."
-"Excellent choix ! J'ai pu suivre le cours de vos pensées grâce à mes capacités angéliques - ange, un si beau métier -, j'ai donc le regret de vous annoncer que vous ne garderez aucun souvenir de vos vies passées. Il se pourrait qu'une fois femme, vous ne compreniez pas les hommes et décidiez de vous réincarner dans un futur proche en homme. Ce serait une boucle infernale ! Mais ce n'est pas de notre ressort. Cet avertissement sera aussi effacé de votre mémoire, mais je tenais à vous le dire. Maintenant que votre choix est fait, vous ne pouvez plus revenir en arrière.
Bon, à présent, voulez-vous avoir une ou deux têtes ?" Texte 10 : Hermione Hermione.
Ô Muses, chantez le destin d’Hermione.
Le fruit d’un inceste royal thessalien.
Fille adoptive de la vierge Artémis.
Blonde d’une beauté digne d’Hélène de Troie.
Gracieuse et séduisante telle Aphrodite.
À la robe rouge soyeuse tissée par Arachné.
Aux yeux verts enflammés d’Hestia.
Chasseresse aguerrie de la férocité des Amazones.
Fière et forte comme Pallas Athéna.
Calaurie, VIIe siècle…
Une fois par semaine, Hermione quittait l’Argolide et venait au marché portuaire de Calaurie troquer quelques proies chassées en retour de provisions et de flèches. Montant Pyrrhus, un cheval thessalien noir, elle observait laconiquement la foule bruyante en compagnie de son fidèle chien Lysias, un molosse de pelage beige. Trop proche des humains bien que vierge, Hermione fut rejetée par Artémis. Tout près du port et devant l’acropole, les kiosques multicolores connaissaient une activité florissante : les marchands tentaient d’écouler leurs produits, parfois de luxe comme le pourpre phénicien, l’ivoire des confins de la mer Érythrée, de l’ambre des îles nordiques et de l’or pur. Hermione désirait aussi éviter de croiser Diogène, un prince fourbe qui s’était violemment épris d’elle et voulait obtenir sa main.
Pendant qu’elle magasinait, un mendiant dans la vingtaine, nommé Ménandre, se faisait malmener par Diogène et ses soldats. Il avait les yeux bruns, un grand corps bien bâti, une longue barbe rousse crasseuse et des cheveux courts de la même couleur. Habillé d’une paire de sandales et d’une tunique brune trouée, le clochard cherchait de la nourriture. Ayant pitié de l’homme, Hermione menaça les assaillants.
-Lâchez-le, sinon je fais un malheur! Vous savez bien qui je suis!
Contrarié, Diogène obéit et ses hommes le copièrent. Arborant un chiton et un himation blancs avec des motifs dorés, le prince, âgé dans la trentaine, possédait un physique svelte, des cheveux et une barbe noirs bouclés ainsi que des yeux bleus.
-Tu le regretteras tôt ou tard, Hermione! Aucun sujet ne s’oppose aux ordres de son prince, sauf le roi!
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Tard dans la soirée, dans le temple dorique de Poséidon…
Au milieu d’encens à myrrhe, Diogène avait fait coucher un bœuf sur l’autel. À partir du sommet, il pouvait contempler les côtes forestières de l’Argolide et de l’autre côté, les eaux tempétueuses du golfe Saronique. Une imposante chaîne de crêtes dominait l’île et les hameaux dispersés. Diogène enfonça un couteau en silex dans l’artère carotide du bovidé. Le sang inonda le plancher de marbre et le pratiquant. Après avoir entendu les derniers mugissements et vu l’œil palpitant de la bête se fermer, ce dernier effectua une libation et se mit à genoux devant la statue du dieu en trident.
-Ô Ébranleur du sol, Souverain des mers, Taurin!
Que tu puisses assurer l’honneur de ma famille!
Qui t’a vénéré depuis des temps immémoriaux!
Face au sacrilège commis par Hermione!
Et son ami Ménandre le barbare!
Une fois la prière achevée, il poussa un rire néronien et retentissant.
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Trois ans plus tard au nord-est de l’Arcadie, lors d’une fin d’après-midi…
Depuis cet incident, Hermione ne retourna plus jamais en Calaurie. Ménandre devint son meilleur compagnon et se montrait très habille en chasse. Après deux ans d’amitié, ils formèrent un couple fort uni. Aussi, la chasseresse tomba enceinte et devait accoucher dans deux semaines.
Supportée par Pyrrhus, Hermione se promenait allègrement au pied d’un ruisseau et était suivie par son amoureux et Lysias. Provenant d’une chute, ce cours d’eau translucide se déversait dans le golfe Argolide une centaine de mètres plus loin. Outre la mousse, de la vigne et des fleurs multicolores, des châtaigniers, des cyprès, des myrrhes et des tilleuls dominaient les côtes en falaise. En bas, une plage de galets offrait une vue superbe sur le golfe. Ils y parvinrent et décidèrent y faire une pause. Ménandre aida sa dulcinée à descendre de Pyrrhus et l’embrassa.
-Mon amour, on devrait y passer la nuit. Je suis fatigué.
Elle prit place sur un rocher et commença à jouer avec sa lyre.
-Ô femme, sors de ta coquille.
Cesse de te lamenter.
Chante face au vent marin.
Entre les îles et les côtes.
Contemplant Ouranos.
Bravant le souffle d’Éole.
Face aux profondeurs de Phorcys.
Plongé dans Érèbe.
En attendant Éther.
Dompte ton cerbère.
Ce défi prométhéen.
Ce labyrinthe crétois.
Dépourvu de fil d’or.
Assume-toi et affirme-toi.
Bats-toi comme le bel Achille.
Ou la farouche Penthésilée.
Promène-toi dans les villages.
Pour réciter les épopées.
Des héros du bronze.
Tel le virtuose Homère.
Soigne les malades.
Sous l’œil d’Asclépios.
Pars à l’aventure.
Avec les brillants Argonautes.
Libre comme Zéphyr.
Pourquoi être femme?
Soudain, de la mer, surgit un taureau noir carnivore et grand de deux mètres. Le cheval paniqua et prit la fuite en direction de la forêt alors que le molosse jappa à tue-tête pour intimider la créature. Piqué sur le vif, le taureau visa le chien pour l’encorner mortellement. Alerte, Ménandre plaqua brutalement son adversaire qui trébucha. Sous le choc, Hermione pleurait.
-Ça doit être un coup de Diogène qui a l’aide de Poséidon.
L’animal mordit une patte antérieure de Lysias et projeta le canidé en direction de sa maîtresse. Impuissant, l’ancien mendiant défia le taureau par un cri de guerre et bloqua son élan en empoignant les deux cornes. Cependant, la bête était trop forte et le repoussa. Impuissante et sentant des contractions au ventre, la fille adoptive d’Artémis vit le taureau transpercer le ventre de son amant. Vaincu, Ménandre s’effondra et attendait Thanatos. Furieuse, Hermione ramassa son arc et se plaça devant sa cible pour décocher une flèche qui se logea dans son cou. Le monstre poussa un râle et rendit l’âme.
Avec toutes les émotions vécues, la beauté fatale perdit ses eaux. En larmes, elle embrassa son bien-aimé.
-Ménandre, ne me quitte pas! Le bébé s’en vient!
Il caressa tendrement son ventre.
-Je ne pourrai pas te voir grandir… Ô Zeus tonnant…
Il s’arrêta à cause de sanglots étouffés.
De l’Olympe, le roi des Dieux eut pitié d’eux et leur dépêcha Héra et Illythie. La déesse du mariage, suivie de sa fille, arriva dans une nuée de papillons. Grande et élancée, la parèdre de Zeus respirait la grâce et la prestance. Ressemblant à une femme à la fin de la cinquantaine, elle avait des cheveux châtains et grisonnants en chignon, des yeux bruns enflammés, un péplos rose et un visage pointu. Plus petite et ronde, Illythie éblouissait par sa beauté : de longs cheveux auburn bouclés, une bande rouge au front, un péplos pourpre, des yeux bleus pétillants et des lèvres charnues. La Cronide déposa une main apaisante sur la future mère.
-Les Parques ont bientôt fini de tisser ton destin, ma belle. Au fond de mon cœur, je t’admire, car tu as su être une femme. Tu as tracé ta propre voie en dépit de plusieurs obstacles, ce qui est très rare chez les femmes.
Sentant la douleur décupler, Hermione était prête à accoucher et Héra la regarda dans les yeux.
-Malheureusement, comme toutes les femmes, tu enfanteras dans la douleur. Les dieux connaissent vos destins et n’y peuvent rien changer, mais nous pouvons vous aider un peu. Ton corps est fragile et tu y laisseras ta vie. Cependant, Zeus a décidé de vous accorder le bonheur éternel dans les Champs Élysées. Nous nous occuperons du bébé. Il sera nourri par Amalthée avant d’être élevé par Apollon. Je vous garantis qu’il connaîtra une vie heureuse.
Illythie se pencha en direction de la vulve de la chasseresse et délivra le fœtus, un garçon, après une vingtaine de minutes de pénibles efforts. Après l’avoir lavé, elle le donna à ses parents. Par la suite, les deux déesses regagnèrent l’Olympe. Ayant perdu trop de sang, Hermione sentait la vie lui quitter graduellement. Ménandre lui caressa affectueusement la tête alors que sa dulcinée lui donna le sein. Elle lui chuchota.
-Bonne chance, Lysandre.
Après une dizaine de minutes d’intimité, les deux tourtereaux s’éteignirent et accédèrent à la félicité divine. Hermès arriva du ciel. Nu et portant un casque ailé en airain, l’Olympien séduisait par son corps mince et bien taillé ainsi que ses cheveux châtains bouclés et ses yeux bruns énigmatiques. Il prit le nouveau-né et s’envola en direction de l’est sous le soleil couchant.
Ô Muses. Que cette légende soit gravée dans les méandres du temps! Formalités des votes Etant donné du nombre de participation et de l'anonymat que je souhaite conserver pour les auteurs, nous allons passer à un Top 6, ainsi : 1er ----- 12pts 2nd ----- 10pts 3ème --- 8pts 4ème --- 5pts 5ème --- 3pts 6ème --- 1pt De plus les coups de coeur ne serviront qu'à départager les égalités, vous disposez donc de deux coups de coeur à donner à deux textes différents. Enfin les participants auront le droit à 2pts bonus s'ils postent un classement et 4pts si leur classement est accompagné de commentaires.
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