Vous l'attendiez tous et toutes, voilà l'avant-dernière partie de la fanfic "la Plume et la Flamme". Ce (long) chapitre sera suivi d'un épilogue, dévoilé dans une poignée de jours.
Chapitre 29 :Ils ne sentaient plus ni le bruissement des végétaux, ni le remous des vagues, ni la caresse du large ; tous deux se projetaient de son regard sur l’homme en face de lui, la seule personne qui existait, l’unique être encore vivant à ce moment : ne subsistait plus que soi-même, le sol meuble et les limites du ciel et de la terre et puis lui, l’idée devenue réalité d’un rêve trop succinct et trop flou. Chacun sentait dans sa chair les empreintes de leur combat ; physiques ou morales, c’étaient les ultimes ramures d’un réseau intangible, d’un fantôme dont les liens s’infiltraient en eux au plus profond de leurs corps et qui les faisaient se mouvoir et se rapprocher, s’esquiver et se toucher, pantins mortels aux mains d’un seul dieu violent, qui faisait se bagarrer ses deux avatars. Dès l’instant où Jan avait touché le cuir de son sabre, ils ne pouvaient s’éloigner l’un de l’autre sans que l’un ne fixe l’autre et n’épie ses gestes, anticipant son mouvement prochain. Ce n’était plus une question de passé ou d’idéologie ― chacun savait qu’il pouvait vivre sans avoir contrecarré les plans de l’autre ― désormais c’était l’homme qui était en jeu, au sens où l’homme qui était en face de chacun n’en était plus un, mais un danger pour celui que l’on était, une menace naturelle. Les souvenirs de leurs mésaventures communes avaient disparus de leurs esprits, l’identité de l’adversaire n’importait plus : ne subsistait que le répertoire des attaques passées et des stratégies possibles, des combinaisons de styles. Cet arithmétique du combat avait instauré un sentiment de compétition intellectuelle, qui bien sûr impactait sur le corporel, si bien que qu’ils tentaient chacun de leur côté de déchiffrer le cryptage offensif de l’autre, tout en démontrant que le sien valait bien plus que celui là qu’on leur proposait, par pure concurrence.
Mais de tout cela, Jan Skyler et William Aucklay s’en foutaient.
Seul leur importait le présent, le concret, le péril mortel que représentait l’autre à chaque instant, les parades et les contres de chaque coup, et les tentatives de blessures qui s’égrainaient comme de gouttes d’une pluie sanglante. Autant l’un souffrait techniquement, des fulgurances électriques perçant son corps au ventre et à la cuisse gauche, autant l’autre se savait en danger imminent de par son inexpérience en matière de duel improvisé, et tentait de survivre avec son entrainement datant d’il y a plusieurs années, afin d’assaillir pour ne pas périr. La fin de l’un ou de l’autre ne tenait qu’à une esquisse, qu’à un vacillement ou qu’à une seule hésitation. Mais ils n’en faisaient pas. Leurs gestes étaient précis, coordonnés dans un ballet fortuit, fait de buts non atteints par leurs mouvements vifs, dirigés vers la gorge, les bras ou le ventre, dont l’encre était produite par le sabre de Jan et les vaguelettes acérées de William, et qui dessinaient ainsi des courbes graciles mais éphémères, faisant siffler le ciel, distordant les corps.
Ils se soumettaient à des efforts au-delà de l’entendement ; qui, d’un saut hautement périlleux dans un flot d’acier, qui, d’un bras tendu au dernier moment, jamais ils ne renonçaient, et jamais ils n’accueillaient le destin tel qu’il était. Ils ne pouvaient pas. C’est pour cela que leurs habits se méprenaient avec des loques, les uns sanguinolents, les autres justes déchirés, comme s’il n’y avait pas de corps en-dessous. Jan, la main agrippée à « Sivler Feather », se maintenait préparé à un énième assaut : après plusieurs intenses minutes, il commençait à ressentir un flot de fatigue dans ses muscles, mais ne baissait pas sa garde. Les quelques secondes qui séparaient les passes d’armes se réduisaient, l’intensité des échanges était à son maximum, et déjà William se mouvait : il disparut en un geste, mais Jan s’était habitué à cet artifice, et ne fut pas surpris quand son ennemi déboula sur sa gauche, brandissant son poing. Il se plia en deux, et prenant appui sur sa jambe droite, il se glissa dans son dos pour viser la nuque qui lui était offerte. Son sabre faillit toucher la peau, l’homme aux cheveux blancs avait plongé sur le côté, s’était réceptionné d’une main, et avait riposté d’un coup de pied lointain en un instant. Le choc métallique de l’air solidifié contre l’acier du sabre passé, Jan eu juste le temps d’effectuer un moulinet de sa lame, parant à moitié l’attaque soudaine : il trancha net le poignet du bras qui s’était tendu vers lui, mais reçu une percussion de moignon dans son diaphragme, coupant net son souffle. Exhalant à reculons, il vit son adversaire se baisser tranquillement et ramasser sa main sectionnée, la recollant rapidement, de visqueux tissus rougeâtres joignant les deux morceaux et réparant le membre. Ses lèvres s’étirèrent de contentement, et il attaqua de nouveau, se propulsant à la verticale, avant d’effectuer un angle aigu en plein air, fondant sur le bretteur tel un rapace, tentant de le surprendre de par sa promptitude. Celui-ci attendit le dernier moment, lorsque William était sur le point de transpercer sa poitrine, pour effectuer une surprenante détente droite, décollant de deux mètres au moins, lui permettant ainsi une esquive efficace, et, par son timing, retomba et coinça à terre d’un pied le combattant de la Cipher Pol. Il ne put l’immobiliser, car ce dernier réussit à se dégager d’une poussée vigoureuse sur le sol, déstabilisant Jan, qui garda néanmoins son équilibre pour faire face à son adversaire de nouveau sur pied, entamant une nouvelle attaque, plus directe : son bras jaillit en une manchette, puis en un coup de poing, évités tous deux. S’ensuivit un autre assaut, contré par une lame virevoltante, qui luttait contre de la peau dure comme de la pierre, et qui tentait de s’introduire dans cette garde déchaînée. Ils étaient dans le plus pur corps-à-corps, usant de leur vivacité et de leur fermeté pour parer, à quelques centimètres l’un de l’autre, jouant de leurs corps au plus haut point.
Cela durait depuis de longues minutes, mais ils ne relâchaient pas leurs efforts, ni leurs sens, anticipant à égale vitesse les mouvements de l’autre, et s’exécutant avec efficacité dans un orchestre dessiné par les remous de leurs tenues dépareillées. Les enchaînements se faisaient tout aussi brefs et nerveux que depuis le début, mais ils se savaient en sursis, leurs différentes techniques se répandaient une à une sur un mur toujours aussi robuste. Leurs grognements étaient sourds à leurs consciences embuées par le duel, déjà imprégnées par les sons de leurs hostilités. L’acier que maniait Jan tintait et sifflait, virevoltant, parant et menaçant d’un seul tenant, il le faisait danser avec lui : elle passa à travers la poitrine d’un William indifférent, qui en profita pour lui porter un direct à la mâchoire. À peine secoué, le bretteur répondit en dégageant son arme, qu’il dirigea à nouveau sur sa cible, sans réussite. Leur combat les avait entraînés vers l’intérieur des terres ; ils se trouvaient à la lisière d’un bois côtier, mais ne s’en souciaient guère. D’un pas, William avait contourné son adversaire, et projeta son pied vers la hanche de celui-ci, qui ne put que se protéger avec son bras : le choc lui meurtrit son coude, et lui fit lâcher son sabre, qui se planta dans le sable blanc dans un murmure. Le savant n’avait pas attendu pour harasser à nouveau un Jan décontenancé, mais solide face aux coups. Il fit face, s’armant de ses avant-bras pour se protéger : il para un, puis deux, puis un troisième coup, et se rapprocha brusquement, pour porter un coup de coude vers une poitrine dégagée. Le savant le prit de plein face, et ne put que subir l’uppercut qui suivit. Ramassant d’un geste vif son arme, le chasseur de primes assura sa garde pour résister au contrecoup de son enchaînement. William ne bougeait pourtant pas, il gardait la tête droite, fixée vers l’homme qui attendait une réaction immédiate. Les regards plongés l’un dans l’autre, ils se dévisagèrent ainsi, comme séparés de la réalité qui palpitait en eux, inspirant simultanément, unis par leur immobilité.
Soudainement, le costume clair dessina un pli, se pencha en arrière, et effectua un salto violent, William s’appuyant sur ses bras pour se retourner verticalement, en projetant ses pieds au-dessus de lui : Jan réagit à temps pour parer les ondes de choc qui jaillirent sur lui à ce moment, attaques habilement dissimulées par une pirouette. Il se réceptionna gracieusement, tel un acrobate en haillons, ne se rétablissant pas totalement avant de disparaître. Usant encore de son intangibilité passagère, il se rapprocha subrepticement de sa cible, mais n’eut pas le temps d’agir : Jan l’avait heurté du poing, ce qui le déstabilisa suffisamment longtemps pour qu’une aile argentée ne fonde vers son corps ralenti par le choc. Malgré sa vélocité, le chasseur de primes ne réussit pas à atteindre son but, celui-ci s’étant glissé sous la lame, effectuant un pas chassé instantané pour se mouvoir sur le côté de son adversaire, c’est-à-dire dos à la forêt, étirant ses bras pour concentrer sa puissance dans sa jambe bandée, prêt à abattre sur lui un arc tranchant en pivotant sur lui-même. De là où il se trouvait, Jan ne pouvait esquiver totalement, sans s’exposer davantage à une autre attaque.
Il se fit prompt, sans peur, agissant à une vitesse hors du commun ; son bras ondula tel un aigle en vol : la lame, portée par une force ardente, passa à travers la jambe qui le visait au niveau du genou en un demi-cercle fluide, tranchant les tendons et les muscles comme dans de l’eau, au même moment où l’onde lui entailla profondément la cuisse. Il n’hésita pas, et, avant que le mollet inerte ne se détache du corps, il avait déjà fait un pas en avant, et sans arrêter son geste malgré ses chairs déchirées, il s’était raidi, et darda contre un avant bras écarté un acier saillant, une percussion effilée qui transperça le derme durcit, et qui s’enfonça jusqu’à la garde dans le tronc d’un arbre derrière un William stupéfait, qui ne put réagir à la brusque passe. Son bras était cloué à l’écorce rugueuse, sans possibilité de s’extraire : « Silver Feather » s’était coincée entre le radius et le cubitus, et dépassait de plus d’un mètre du palmier, traversant la manche de tissu clair et les muscles, n’offrant aucune chance d’évasion. De plus, il tenait sur une seule jambe, que Jan n’hésita pas à balayer du pied, afin de faire chuter celui qui, démuni de ses deux membres droits, ne pouvait plus riposter ni ébaucher la moindre offensive. Le combat était fini. Le chasseur de primes laissa ses bras se balancer, et respira un grand coup, quitté d’un coup par l’ardeur de la lutte, haussant la tête jusqu’au ciel comme pour s’échapper de cette vision d’un homme démembré qui ne se plaint pas, et qui restait coi. Le chœur des blessures sourdait en lui, plainte silencieuse et entêtante, perdue dans l’océan qui refluait en lui. Il se sentait d’un coup vidé, malgré le tumulte qui l’avait agité et mut, et ne respirait plus que de l’air, et non plus de l’énergie pure et versatile. Il était enfin immobile, seul, comme abandonné sur une plage coincée entre deux falaises albâtres. William soupira.
- Bien joué, Jan. Tu as gagné. Mais nous savons tous les deux que notre histoire ne va pas se terminer comme ça. Je reconnais certes que tu m’as vaincu, mais tu sais que je peux t’aider. Oublions ce qu’il s’est passé auparavant. Recommençons sur des nouvelles bases, et faisons de grandes choses ensemble.
- Tu es un criminel aux abois qui ne peut plus que parler, répliqua placidement le bretteur, qui réduisait au silence les blessures qui le ceignaient, et la tiédeur piquante qui glissait sur sa jambe. Je vais te livrer à la Marine.
- Allons, Jan, tu ne peux pas me faire ça ! Pour quoi te bats-tu ? Je peux t’offrir tout ce dont tu rêves... Un monde paisible, la renommée mondiale, des montagnes d’or, tout ! Crois-moi.
- Je n’ai besoin que de 51 millions de Berrys. L’argent de ta prime. C’est tout ce que je souhaite.
Un silence s’invita dans la scène. William fit rouler sa tête, et tenta de se remettre debout, mais son interlocuteur l’en dissuada d’un pas. Il reprit la parole, faussement décontracté.
- Puisque c’est comme ça... reprit le savant. Je vois que tu n’es pas très réceptif à mes propositions. Aide-moi à me relever, tu veux ? On sait tous que la récompense baisse de 30 % si je meure, tu ne veux pas perdre autant d’argent, n’est-ce pas ? Et puis... Un peu de prison, ce n’est pas trop grave, hein ? Allez, ramène-moi chez les mouettes...
Il tendit son bras, et étouffa un rire devant l’immobilité de son compagnon.
- Tu vas me traîner encore un moment, Jan...
- Non. Je vais te tuer.
À cet instant précis, Jan vit ses paupières hurler, sa mâchoire s’écrouler, son bras s’enterrer, son front onduler et ses sourcils s’envoler : William eut peur. L’effroi qu’avait suscité cette simple négation, déclarée d’un ton franc, décidé, l’étreignit comme l’hiver embrasse une vallée, sans pitié pour aucune partie, durement et égalitairement. Son esprit aux abois fut victime d’un blizzard de sensations, et son corps se secoua de questionnements. Il avait tout prévu, anticipé toutes les réactions, de chaque individus, calculé les possibilités des différentes occurrences, établis tous les schémas de mouvements de tous ses adversaires... Il avait
gagné ce combat, ou tout du moins avait conjecturé le déroulement, les tenants et les aboutissants. Jan ne pouvait le tuer froidement, sans raison : ce n’était pas dans ses habitudes, il n’avait jamais fait ça avant. Qu’est-ce qui clochait ? Jan bluffait-il ? Lui faisait-il peur, par vengeance ? Quelle équation n’était résolue, quelle virgule était mal placée ? Pourquoi ?
Lentement, non par plaisir mais par éreintement, le chasseur de primes mit sa main gauche dans sa poche intérieure, au niveau de sa poitrine, et en sortit un papier roulé, quelque peu jauni. Il le mit à hauteur de ses yeux et le déroula, comme pour vérifier qu’il ne s’était pas trompé, comme pour relire ce qu’il savait déjà. Le sourire y était éternel, et le visage plus ridés de celui qui était devant lui, mais l’homme était bien le même. Devant lui, toujours à terre, le bras levé comme pour signifier sa présence, mais le corps mou et sale, un William affichant une expression béate le contemplait, interdit, assommé. Enfin, Jan se baissa, et tourna le papier, afin que sa proie puisse lire. Dessus était inscrit :
RECHERCHÉ
Pour : actes de piraterie ayant entraîné la mort, homicides prémédités de civils, vols de biens, destructions de biens, homicides d’agents du Gouvernement, vols de biens appartenant au Gouvernement, destructions d’infrastructures appartenant au Gouvernement, vols de documents classés secret défense :
WILLIAM AUCKLAY
Tête mise à prix à hauteur de 73 millions de Berrys
MORT OU VIF
Son prix avait augmenté. Or, 73 millions desquels on retranche 30% est égal à... Cela le fit presque sourire, l’absurdité de la pensée, isolée dans un concert d'apitoiement, qui l’étreignit par rapport à sa situation lui semblait cocasse.
- Au moins, il te restera 100 000 Berrys...
Le bretteur ne répondit pas. Il expira, puis lâcha l’affiche qui flotta un moment avant de toucher le sol. Dès que les yeux de William rencontrèrent l’impassibilité face à lui, il cessa de respirer. La dague que Jan saisit se porta à sa gorge instantanément, en un coup d’une horizontalité parfaite, déchirant la chair et les nerfs, passant entre les vertèbres. L’encéphale au regard étonné hésita, puis tomba mollement à terre en une seconde, soulevant un dernier nuage de poussière, le sang commençant à gicler des artères sectionnées. Un amas de chairs et de cervelle à 51,1 millions de Berrys, qui gardait les yeux ouverts et la bouche close. Ça y est. William Aucklay était mort. La malfaisance, l’arrogance, la violence, scellées. Le sourire, disparu. L’intelligence, dissipée.
Le dernier cadavre qu’il laissait derrière lui.
Il ferma les yeux.
C’était fini.
Presque.