Il y a bien longtemps que Naruto ne m’avait plus procuré autant de satisfaction. Après le chapitre de la semaine dernière, que j’avais beaucoup aimé, je me surprends à apprécier encore davantage celui-ci. S’il est clair qu’il ne se passe visiblement rien, je crois fermement que les nouvelles fondations et les nouvelles valeurs que Kishi est en train de mettre en place justifient sans problème cette phase légèrement léthargique. A vrai dire, voir l’auteur s’attacher à nouveau à son œuvre, la respectant au point de lui accorder un véritable fond, est une joie que je ne dissimule pas. A l’époque, mes critiques envers cette série rimaient aussi, en quelque sorte, avec les reproches que je pouvais implicitement faire à Kishi, parce que j’avais l’impression qu’il ne réalisait son affaire que par simple obligation professionnelle, n’y prenant plus ni goût ni dégoût. L’indifférence que j’avais relevée était, j’en suis sûr, le point d’orgue de ma dépréciation de Naruto.
Aujourd’hui, et même si on aura tout de même eu droit à une période relativement lamentable, consacrée à l’insupportable Sasuke, le manga entre dans une phase qui, en toute vraisemblance, a le vent en poupe. D’ailleurs, par ce renouveau, Kishi nous force à revenir sur nos pas, histoire qu’on se penche une fois de plus sur certaines choses qui avaient pu, dans le temps, nous chiffonner. De cette manière, force est de constater qu’une des plus grandes vagues de mécontentement que Naruto ait pu traversées – à savoir l’anéantissement du personnage de Shikamaru suite à la mort d’Asuma – devient au final une perspective plutôt alléchante, et on se met à croire, de facto, que c’était un choix délibéré de Kishi. Par la mise en scène opérée, on peut, en effet, légitimement se persuader que cet épisode était un passage obligé dans l’évolution générale de l’esprit de la série. Parce que oui, le fait que Kurenai soit enceinte d’Asuma est un poncif symbolique finalement assez minable, mais si on ne s’arrête pas à ce jugement premier et qu’on se projette plus avant dans la réflexion de Kishi, on se rend compte qu’en réalité, c’est beaucoup plus intelligent que ce qu’il pouvait paraitre en surface. Pour la nécessaire mutation de Shikamaru, emblème de cette génération insouciante de ninjas, il fallait passer par ces clichés, par cette mort mal assurée, et par ce bébé qui représente à lui seul la nouvelle ère en devenir. Ainsi, la destruction du Shikamaru d’antan n’est plus un vice de fabrication, elle devient pour le coup un tournant indispensable. On ne pourra plus alors reprocher à Kishi que la forme que tout ceci a pu prendre et non sa pertinence même.
Dans la continuité de ses idées, Kishi nous propose une vision plus globale de son histoire : il ne se limite plus au court terme. C’est qu’il a compris que pour construire, il fallait d’abord poser des bases, un événement ne peut pas succéder à un autre événement sans qu’il y ait un sens derrière. C’est pourquoi, en plus de justifier la mort d’Asuma pour forcer la maturation de ses héros, il ne se prive pas pour s’en servir une fois de plus, avec subtilité, en mettant en relief la ressemblance des situations vécues respectivement par Shikamaru et Naruto. Et c’est peut-être cela la preuve que Naruto se voulait bien plus élaboré que ce qu’il nous montrait depuis des lunes et des lunes. Car, quand on y réfléchit quelque peu, il ne pouvait y avoir d’autres solutions plausibles pour réhabiliter Naruto dans une voie plus propice à la renaissance. Et donc, c’est toute une mécanique qui se met en route, projetant la perte de Jiraya comme une assise du nouveau départ et non comme une tragédie pathétique que chacun a plus ou moins craint.
La révélation de ce que transmet le Sannin au village – un corps de Pain ! – est là aussi une surprise vraiment superbe de la part de Kishi. Non content de redonner le sourire à ses lecteurs, il s’autorise de surcroit un bonus dans la gestion de ses intrigues. Tout d’abord parce que, soyons honnêtes, presque personne ne pouvait s’attendre à une telle chose ; ensuite parce qu’une telle chose, justement, tend à éclaircir efficacement l’attitude de Jiraya, sa volonté de mourir au combat (alors qu’on sentait effectivement qu’il avait les moyens de fuir) et enfin, la nécessité même d’introduire à ce moment précis du scénario un affrontement pareil. S’il est dit que les enjeux de la bataille à venir seront conséquents, Kishi ne pouvait pas à la fois présenter Pain comme un invulnérable dieu et envoyer Naruto au combat. Il est évident que lors d’une éventuelle confrontation avec un ninja aussi monstrueux, si on veut pouvoir justifier une potentielle victoire du démon renard, il fallait obligatoirement traverser cette préparation plus fondamentale que jamais.
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