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Jacky D. Kaput Présente
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Les Aventures de Bon Clay
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Chapitre IV : Un cygne du
destin
Bon Clay transpirait, ses vêtements étaient
déchirés, une profonde migraine lui pressait les tempes.
Il regarda devant lui, et sa vue se brouilla. Il trébucha
et tomba au sol, suffoquant, les yeux révulsés. Du sable
s'introduisit dans sa bouche. Il se releva péniblement et
toussa du sang. Le travesti sentait que c'était la fin de
son aventure... il n'aurait jamais cru que ce voyage serait si
difficile...
A cent mètres de là, Jett et Carstally,
assis sur un banc, observaient leur ami. - Regarde-le, dit
Jett, ça fait dix minutes qu'il a quitté Tapettal et il est
déjà au bord de la mort... on devrait peut-être l'aider...
- Non, répondit Carstally en serrant le poing d'un air
héroïque. Il a décidé de prendre la mer, entraver son périple
solitaire serait une insulte à son honneur !!! Jett
contempla son acolyte avec admiration. Le soleil qui venait de
se lever brillait dans ses cheveux. Jett s’approcha de
Carstally et l’embrassa fougueusement. Pendant ce temps,
Bon Clay agonisait.
Affalé sur le sol, le corps de Bon
Clay refusait de bouger. Il essayait de se donner du courage
en poussant des petits cris. Sa douleur était telle qu’il crut
voir sa tête exploser... avec cette petite musique
répétitive... Une musique
?
Son esprit s’embrumait, et elle arriva tout
naturellement, involontairement. Le rythme était entraînant,
et Bon Clay improvisa des paroles qui, elles aussi, sortirent
comme une cascade. Dans la vie, il y a les femmes d’un côté
Et les hommes de l’autre Mais moi je suis les deux à
la fois Et c’est pour çaaaaa... que je suis le plus fort
!!! (le plus fort, le plus fort) The Travelo Way poum
poum poum Is my way of life babe The Travelo Way, the
Travelo Way The Travelo Way is my way of life The
Travelo Way yeah yeah yeah yeaaaaah Owooowooooooooh...
Il avait sorti un trombone à coulisse et se
relevait avec vigueur, accompagnant chacun de ses mouvements
par un chant et un son qui résonnait à travers le monde.
Oui, le Travelo Way !!! Cette chanson lui avait sauvé
la vie. Il se décida à en faire son hymne, à le mener sur
toutes les mers... jusqu’à Rough Tell... c’est ce qu’il
chantera lorsqu’il sera devenu le plus grand danseur de
l’histoire, qu’il aura retrouvé sa mère, et que le pouvoir de
l’amitié aura triomphé... Bon Clay virevoltait maintenant
à travers la prairie. Les oiseaux et les feuilles volaient,
les fleurs et les adolescents bourgeonnaient, les écureuils
lui faisaient coucou... thank you life, thank you love !!!
Le travelo courait vers la plage de l‘île, où se
trouvaient des barques... il allait en emprunter une. Il
s’élança gracieusement vers un petit bateau charmant, un grand
sourire au lèvres. Soudain, un cygne sortit d’on ne sait
où et fonça vers lui. L’oiseau mit un coup de tête à Bon Clay,
qui s’envola littéralement, heurta dix-huit rochers avant de
tomber à la mer, inconscient.
Les vagues lui
fouettaient le visage, les algues lui bouchaient les narines.
C’est ce qui réveilla l’adolescent. - Excuse le cygne, mon
jeune ami, il est encore jeune donc un peu turbulent, lui dit
calmement une voix qui semblait venir d’un homme âgé. Son nom
est... cygne-jeune-donc-un-peu-turbulent. Les yeux de Bon
Clay s’éclaircirent. Un vieil homme ridé à la peau mate se
tenait accroupi devant lui, habillé d’une tunique marron,
soutenue par une étrange cape représentant en relief un cygne,
et coiffé d’un petit chapeau à plume. Il fumait un calumet. De
toute évidence, c’était lui qui l’avait sauvé de la noyade: il
était encore mouillé. La longue cape blanche du travesti
était étalée par terre. On lisait dans le dos « pingouin
de bergerie ». Le vieil Indien se tourna à nouveau vers
lui: - Ta peinture ne tient pas, mon fils. J’ai avec moi
de la peinture magique, qui ne s’efface jamais. Que veux-tu
que j’écrive ? - Travelo Way, répondit Bon Clay, avant de
poser la question qui le tiraillait: qui était-il ?
L’homme sourit. Il avait un visage durci par la
vieillesse mais il restait sympathique. - Mon nom est
Chef-Qui-Fume-et-Danse. C’est peut-être un peu long... tu peux
m’appeler CQFD. - ...qui danse? Le jeune homme était
intrigué par son aîné. Il avait foule de questions à poser. Il
sentait le pouvoir de l’amitié prêt à agir.
CQFD était
un chef Indien qui, selon ses propres propos,
ne « venait de nulle part et n’allait nulle
part ». Son seul objectif était de retrouver sa fille,
qu’il avait perdue après une « sale histoire ». Il
ne rajouta rien à ce propos. Ce fut la seule chose qu’il
cacha à Bon Clay. CQFD était un homme qui ne parlait que
lorsque cela était nécessaire, mais il ne rechignait pas à
donner des informations à son jeune interlocuteur. Le Chef
se trouvait à Tapettal pour s’approvisionner. Il avait envoyé
ses « émissaires » voler de la nourriture. Il avoua
avec tristesse que le vol était désormais sa principale source
de revenus, car il ne pouvait plus vivre de la danse. Il
montra à Bon Clay sa jambe droite qui portait les traces d’une
terrible blessure. Bon Clay se présenta à son tour
chaleureusement, entonna quelques chansons à la gloire de leur
amitié si formidable, mais fut interrompu par un cri d’oiseau.
- Ah, voilà mes émissaires ! annonça CQFD d’une voix
toujours très calme.
(A lire avec « La Chevauchée
des Walkyries » de Wagner) Papapapapaaaaaapam
Papapapaaaaaapam Papapapapaaaam
Pampalampmam!!!
Un
centaine de cygnes volèrent ou glissèrent sur le sable telle
une effrayante marée blanche, et se retrouvèrent en face des
deux hommes. Chacun tenait un morceau de nourriture dans son
bec. Bon Clay pensa à l’économie de son village natal qui
allait en prendre un coup. Le cygne qui l’avait attaqué
(Bon Clay le reconnut car « il avait une tête de
méchant ») lâcha son poisson et s’élança à nouveau vers
lui. CQFD le retint de justesse, alors que le Bon Clay s’était
déjà réfugié derrière sa nouvelle veste Travelo Way, très
efficace bouclier. - Je crois que vos relations ne
s’avèrent pas de tout repos, remarqua CQFD avec une justesse
incroyable. Le Chef envisageait donc de fréquenter Bon
Clay plus souvent. Emporté par le pouvoir de l’amitié, il sut
qu’il s’était fait un premier compagnon de route.
Après avoir heurté ces récifs, la tête de Bon Clay
était encore douloureuse. Il partit donc faire des mouvements
de gymnastique tandis que CQFD, qui n’vait plus rien à faire
sur l’île, prépara amicalement leurs bagages. Bon Clay
savait déjà qu’il pouvait compter sur le vieil homme. Il était
quelqu’un de sage et bienveillant, et semblait intéressé par
le rêve de Bon Clay. Il avaient échangé peu de mots mais de la
confiance s’était installée entre eux.
Le travesti
s’échauffait dans la prairie près de la plage, en se donnant
de l’entrain grâce à une chanson à texte (toutouyoutou) et une
clarinette. Soudain, ses yeux se fixèrent sur un fruit
étrange, isolé au milieu de l’herbe. Il était rond et strié de
petits traits fins. Il semblait appétissant. Sans
réfléchir, Bon Clay l’avala d’un coup. Ce ne fut qu’après
qu’il se souvint du récit de Pell.
La douleur était
intenable. Bon Clay se tortillait en essayant de recracher ce
fruit au goût immonde, quand une main se posait sur son
épaule. -Est-ce que ça va, Bon Clay ? s’inquiéta CQFD qui
l’avait rejoint, entouré de ses fidèles cygnes. La douleur
vive était passée mais l’adolescent accusait encore un sérieux
mal de ventre. Il s’écarta un peu et sauta, s’attendant à se
transformer en faucon. Mais il s’écrasa au sol de tout son
poids. Il réitéra ces acrobaties une bonne dizaine de
fois, sous le regard perplexe et inquiet de l’Indien et ses
cygnes. Lorsqu’il subit une rupture des ligaments croisés, le
vieil homme le souleva avec aisance et le transporta vers leur
petit bateau volé. Bon Clay se dit que ce fruit était
finalement banal.
Sous le soleil qui continuait de
monter, le jeune travesti, accroché au dos de son ami de le
Chef Indien, jeta un dernier regard à l’île qu’il quittait.
Il prenait la mer. Pour accomplir son rêve. Pour ne plus
jamais revenir.
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